
Sorti le 25 juin 2025, « Le Grand Déplacement » est le dernier né de la filmographie de Jean-Pascal Zadi. Après le succès de « Tout simplement noir », l’acteur-réalisateur ivoiro-normand prend les commandes, seul cette fois-ci, pour nous offrir une œuvre d’une ambition rare dans le paysage cinématographique français.
Un concept révolutionnaire ancré dans l’actualité
Le film imagine un monde où les Africains se lancent résolument dans la conquête spatiale, idée qui pourrait sembler fantaisiste, mais qui est de plus en plus proche de la réalité, et mobilise ici une intelligence narrative subtile. Dans le plus grand des secrets, la première mission spatiale africaine se prépare à décoller ! L’équipage, issu du continent et de sa diaspora, doit explorer l’exoplanète « NARDAL », afin d’évaluer la possibilité d’y ramener tous les Africains si jamais la Terre devenait inhabitable.
Jean-Pascal Zadi a eu l’idée du film après avoir vu un astronaute dire qu' »on ne pourra jamais maîtriser le facteur humain » dans les missions spatiales. L’idée l’a frappé : malgré toute notre technologie, c’est notre incapacité à bien communiquer qui reste notre talon d’Achille. Le film va mettre en exergue ce sujet, en jouant sur les différences entre sensibilités et engagements divers d’un équipage spatial hétéroclite rassemblant une kyrielle de talents originaires d’Afrique.
L’afrofuturisme au cœur du récit
Devant et derrière la caméra, Jean-Pascal Zadi verse dans l’afrofuturisme, ce concept né aux États-Unis auquel renvoie aujourd’hui toute démarche qui permet aux Afrodescendants de s’imaginer un avenir, grâce à la science-fiction, dans des environnements où ils ne sont plus des êtres dominés par les grandes nations du Nord. Cette approche permet au film de dépasser le simple divertissement pour proposer une réflexion sur l’identité, les suites de l’histoire coloniale et les aspirations d’un continent.
La Côte d’Ivoire, pays d’origine des parents de Jean-Pascal Zadi, sert en partie de décor à ce film et permet de retrouver de célèbres comédiens ivoiriens, créant ainsi un pont authentique entre les cultures.

L’équipe des astronautes réunit un casting de choix avec Reda Kateb, Lous and the Yakuza, Fadily Camara, Fary, et l’humoriste Claudia Tagbo. Chaque personnage apporte sa couleur unique à cette mission spatiale hors du commun, notamment le personnage d’Abdel Souya (Reda Kateb), un éminent et pieux scientifique algérien, recherchant fiévreusement la direction de La Mecque, y compris projeté dans l’espace, pour ses « cinq prières » quotidiennes.
L’humour au service de la réflexion
Fidèle à son style, Zadi manie l’humour avec justesse et autodérision. On retrouve dans ce film les finesses de Simplement noir avec ses questions sur les racines et l’identité africaine. « Ça peut ne pas plaire à tout le monde mais, moi, je trouve ça fin, intelligent et drôle« , témoignait en sortie de salle un spectateur enthousiaste.
L’acteur-réalisateur assume pleinement son approche : Pierre Blé, incarné par Jean-Pascal Zadi, est l’une de ces têtes bien faites issues du continent mais finalement à côté de la plaque, bourré de réflexes bien français qui détonnent en Côte d’Ivoire. Et son caractère pose question dans le cadre d’une mission où la cohésion de l’équipage est primordiale. Pierre Blé est franc, mais surtout très indélicat, créant ainsi un anti-héros attachant qui porte la comédie. De même, impossible de ne pas se souvenir du personnage joué par Fary, un psychologue décalé, chargé de maintenir coûte que coûte la cohésion du groupe, mais conjurant son identité métisse par un racisme anti-blanc délirant. Chaque personnage a ses failles, son humanité à vif, et Zadi tire de cette petite troupe improbable un fable intersidéralement drôle.

« Le Grand Déplacement » s’impose comme une œuvre à part dans le cinéma francophone. En osant aborder les problématiques post-coloniales contemporaines à travers le double prisme de la science-fiction et de la comédie, Zadi prouve que ce cinéma construit à mi-chemin entre la France et l’Afrique peut rivaliser avec les productions internationales les plus ambitieuses.
Avec ce film joyeusement dérangeant, Jean-Pascal Zadi confirme son statut d’auteur incontournable du cinéma français, capable de porter des projets d’envergure tout en gardant cette proximité avec le public et cette naïveté jouée qui fait son charme. Une réussite qui ouvre de nouveaux horizons pour le cinéma de genre et qui place définitivement son créateur parmi les talents les plus prometteurs de sa génération.