Une leçon que l’Egypte pourrait tirer de la peur de la grippe porcine


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Maintenant que le vent de panique semé par la « grippe porcine » et le virus H1N1 dans le monde entier s’est apaisé, les gouvernements, les organisations internationales et les gens ordinaires analysent et essaient de comprendre si la réaction par rapport à cette peur a été proportionnelle au danger réel. On s’inquiète notamment du fait que certains gouvernements ont pris cette menace, potentiellement grave, si sérieusement que leur réaction a été excessive, et a du coup entraîné des tensions et des discriminations à l’égard de certaines communautés locales. C’est le cas du gouvernement égyptien.

Par Samuel Rizk [[Samuel Rizk est chercheur invité au Prince Alwaleed Bin Talal Center for Muslim Christian Dialogue de l’Université de Georgetown et doctorant à l’Institute for Conflict and Resolution de l’Université George Mason. Article écrit pour le Service de Presse Common Ground (CGNews).]]

La « grippe porcine » a non seulement eu pour conséquence la fermeture d’écoles, l’annulation d’événements et des mises en quarantaine, mais en Egypte – pays où aucun cas n’a été signalé – elle a aussi accentué les tensions entre chrétiens et musulmans.

En Egypte, dont la population est majoritairement musulmane, la consommation de porc est interdite aux musulmans pour des raisons religieuses. Le gouvernement égyptien, soutenu par un très grand nombre de parlementaires, a décidé de procéder à l’abattage systématique de toute la population porcine du pays et d’en compenser modestement les propriétaires.

Cette mesure drastique, qui aurait été considérée comme excessive dans le contexte de n’importe quel pays, a posé un problème particulièrement délicat en Egypte, où seule la minorité copte, chrétienne, élève des porcs et en consomme.

Dès lors, les chrétiens d’Egypte ont vu dans cette mesure expéditive et dans le discours officiel une façon de leur porter atteinte en tant que communauté religieuse.

La plupart des élevages de porc se trouvent dans des zones où vivent et travaillent les éboueurs. Ces derniers ramassent les ordures avec des chariots tirés par des ânes, faciles à manœuvrer à travers la ville, les rapportent chez eux pour les trier, gardant ou vendant ce qu’ils peuvent, recyclant le plastique et le verre et nourrissant leurs cochons des matières organiques et de la nourriture jetée et de denrées périssables. Ainsi, ces gens figurent parmi les rares communautés qui appliquent effectivement des mesures de recyclage durables, même si les conditions dans lesquelles ils vivent et travaillent laissent à désirer du point de vue de la propreté, de la décence des logements et des services communautaires.

Dans ce contexte, les mesures visant à débarrasser l’Egypte de sa population porcine ont été perçues par la communauté copte chrétienne comme une attaque contre leurs moyens mêmes de subsistance.

Une crise mal gérée

Les agences d’information en Egypte et à travers le monde ont rivalisé d’analyses sur les différentes façons dont la situation aurait pu être mieux gérée. Peut-être que le gouvernement aurait pu mieux communiquer à la communauté copte les raisons justifiant l’abattage systématique des porcs et parler de ce qui aurait pu être fait pour compenser rapidement et équitablement les groupes touchés par ces mesures ?

Ce qui est très préoccupant, c’est la raison pour laquelle ce conflit, qui n’a à première vue rien de religieux, a pris une tournure sectaire – une dynamique de plus en plus fréquente en Egypte.

La vie des gens et leurs moyens de subsistance sont devenus si entremêlés qu’on ne peut plus dissocier bien-être économique et social. Continuer à espérer de bonnes relations interreligieuses, comme le fait la plupart des musulmans et des chrétiens en Egypte, n’est pas suffisant, il faut aussi s’intéresser au bien être social de la population dans son ensemble. Plutôt que de se focaliser sur les retombées négatives de ces événements, il nous faut tirer des leçons des frictions et du conflit qui en ont découlé afin de prévenir de futures tensions.

Les personnes et les groupes appartenant à des cercles interreligieux peuvent profiter de ce contexte pour ajouter à l’ordre du jour de leurs réunions une nouvelle priorité : celle de dialoguer sur le bien-être économique et social. La discussion pourrait commencer par la question urgente des communautés d’éboueurs et s’étendre impérativement à d’autres communautés vulnérables du pays – comme celle des migrants internes vivotant dans les taudis à la périphérie des grandes villes et devant faire face à des conditions tout aussi précaires que celles des éboueurs.

Déplacer les communautés d’éboueurs installées dans le Caire vers l’extérieur de la ville est une des options discutées. Cette mesure permettrait non seulement de soulager une ville assez congestionnée mais servirait également à réduire les graves dangers que représentent pour la santé ces montagnes de déchets si proches de zones résidentielles, tout en fournissant l’espace nécessaire à des efforts de recyclage plus efficaces, plus propres et à plus grande échelle.

Cette récente friction est l’occasion aussi bien pour les musulmans que les chrétiens de se demander pourquoi des disputes à première vue ordinaires et liées à la vie quotidienne prennent si vite une tournure plus ou moins teintées de religion, et viennent perturber une relation autrement paisible. Peut-être que les comités interreligieux permanents qui interviennent quand le conflit apparaît pourraient prendre des mesures préventives afin de réduire le nombre de tels incidents à l’avenir.

En Egypte, la peur et l’appréhension du prochain épisode de friction, de ses causes et du moment où il éclatera, existeront toujours. Cependant penser le conflit comme une occasion de collaborer pour mieux le résoudre pourrait permettre de s’assurer que les autorités égyptiennes réfléchissent aux conséquences locales de leur réaction lorsque la prochaine menace internationale se présentera.

Source: Service de Presse Common Ground (CGNews), 22 mai 2009. Reproduction autorisée.

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