Un siècle, une vie


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Pascal Ouedraogo, 102 ans

Pascal Ouedraogo, 102 ans, a passé les trois quarts de sa vie à obéir aux ordres. Enrôlé à sa majorité dans l’armée française pendant près de trente ans, il sera notamment en première ligne pendant la campagne algérienne. Au lendemain de l’indépendance de la Haute Volta, il intègre les rangs de la police nationale du Burkina Faso. Homme de devoir, rigoureux et peu disert, il raconte avec distance son histoire marquée par l’épreuve des travaux forcés, la colonisation, la guerre, sa vie de policier et ses rancœurs envers la classe politique.

De notre envoyé spécial Gonzague Rambaud

Assis à l’ombre, les jambes étendues sur une chaise, Pascal Ouedraogo prend le frais, en attendant le dîner. Cet homme a 102 ans. C’est en tout cas ce qu’indique sa carte d’identité. Sa voix, faible et toussotante, contraste avec l’agitation alentour. Trop occupé à chasser les mouches qui l’assaillent, l’ancien ne regarde que distraitement sa famille s’affairer, en cette fin de journée. Les uns lavent le linge et préparent à manger, les autres rentrent de l’école ou de leur journée de travail. Les allées et venues permanentes marquent parfois une pause dans les chassés-croisés des petits, qui profitent de l’effervescence collective, pour jouer bruyamment.

Travaux forcés

Dans son enfance, le vieux Pascal Ouedraogo ne se rappelle pas avoir joué. Ses premiers souvenirs, ce sont les travaux forcés.  » J’ai travaillé très tôt sur les chantiers avec mon père. On construisait les routes. Certains colons, lorsqu’on ne faisait pas bien notre travail, nous frappaient. Mon père et moi, on se tenait tranquilles pour ne pas avoir de problèmes. On n’avait pas le choix, alors on obéissait.  » Quatre-vingt-dix ans après, Pascal Ouedraogo conserve ce sentiment de résignation. Point de propos injurieux ou haineux sur les occupants. Juste les faits. Avec parfois une distance volontairement affichée, pour éviter sans doute de rouvrir les plaies de la période coloniale, durement cicatrisées.

De son enfance et son adolescence, rythmées par les cadences et les coups de bâtons du travail forcé, il n’a qu’un vague souvenir. Lorsque son père décède, juste avant la première Guerre Mondiale, il a tout juste 12 ans. Avec ses frères et sœurs, il épaule tant bien que mal une mère absente, défaite par la mort de son mari. Son jeune âge lui évite le départ au front. Mais au sortir de la guerre, l’Armée française l’enrôle pour défendre les intérêts de la France et assurer la conquête coloniale.

Des bienfaits de la présence française

Au fur et à mesure que la discussion s’installe, le  » vieux  » laisse exprimer un sentiment parfois ambigu sur cette période. Son petit-fils qui fait office de traducteur – son grand père parlant essentiellement en bobo – semble surpris. Après une pause et un léger soupir, il traduit docilement :  » Mon grand-père dit que la colonisation a permis de faire de nombreuses choses dans ce pays. Les routes, les administrations datent encore de cette époque. Il pense que les Burkinabés n’auraient jamais pu avancer si vite sans les Français.  » Cette forme de reconnaissance, malgré les années de d’occupation, cet ancien tirailleur l’exprime avec la même pudeur que lorsqu’il évoque les travaux forcés.

Cette rigueur s’explique peut-être par sa longue carrière chez les militaires, puis dans la police. Soixante ans de discipline laisse des traces dans le discours. Un ton sobre et un phrasé épuré. Alors même qu’on parle de sa propre vie, on s’efforce de masquer ses émotions et ne laisse que très rarement transparaître un point de vue personnel. Exception faite de la guerre d’Algérie.  » On nous a caché la réalité de cette guerre avant qu’on parte au front. On nous disait que ce n’était rien de grave et que ça ne durerait pas longtemps.  » Le vieux marque une pause – son débit s’accélère pour la première fois de l’entrevue – puis reprend :  » Comme j’étais bon tireur, j’étais première ligne. Je me souviens de mes amis qui sont morts dès les premiers jours d’assauts. J’ai assisté à des massacres et des tortures. C’était horrible, mais je n’avais pas le choix.  » Résignation et sagesse…

A l’indépendance, le sens du devoir, encore

Pendant que la guerre d’Algérie s’enlise, la Haute-Volta prépare son indépendance. Pascal Ouedraogo se tient régulièrement informé de l’évolution de la situation, mais ne souhaite pas fuir l’Armée française. Même après l’indépendance de la Haute-Volta en 1960, il reste aux côtés de l’Armée française pendant deux ans.  » Je souhaitais rester jusqu’au bout de la guerre pour en voir l’issue et je ne voulais pas trahir l’armée « , confie-t-il. Le futur policier ne voulait pas trahir l’uniforme non plus. Le sens du devoir, encore.

De retour, Pascal Ouedraogo découvre son pays libéré.  » Il n’y avait plus de règles, les gens pouvaient enfin faire ce qu’ils voulaient. J’ai mis du temps à réaliser cela car jusqu’au bout j’ai côtoyé les autorités françaises.  » Pas dégoûté de l’uniforme, ce natif de Bobo-Dioulasso devient policier. Il y fera le restant de sa carrière. Une longue carrière puisqu’il ne quittera ses fonctions qu’à l’âge de 78 ans.

Des événements politiques post-coloniaux, il se souvient surtout  » des hommes politiques malhonnêtes qui ‘mangent’ l’argent que des ONG (Organisations non gouvernementales, ndlr) donnent à l’Afrique « . Seul, le père du  » Pays des hommes intègres « , Thomas Sankara,  » trop franc et loyal pour durer malheureusement « , échappe à son courroux. Après ces reproches faits à la classe politique dans son ensemble, le vieux reprend un propos plus consensuel :  » Si on m’avait dit, il y a cinquante ans, que le Burkina allait évoluer aussi bien, je ne l’aurais jamais cru.  » Le  » vieux  » le pense-t-il vraiment ?

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