Julius Maada Bio prend la tête d’une CEDEAO en quête de renaissance


Lecture 4 min.
Julius Maada Bio, Président de la Sierra Leone (08 oct 21)
Julius Maada Bio, Président de la Sierra Leone

La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a un nouveau Président en exercice. Julius Maada Bio, Président de la Sierra Leone, a été désigné ce dimanche 22 juin 2025 au terme d’un sommet des chefs d’État de la sous-région, organisé à Abuja, au Nigeria. Il succède à Bola Ahmed Tinubu, Président du Nigeria, à la tête d’une organisation secouée par une crise profonde.

Le dirigeant sierra-léonais, Julius Maada Bio prend les rênes de la CEDEAO dans un contexte régional marqué par de profondes fractures politiques, sécuritaires et institutionnelles.

Une élection surprise qui brise la tradition d’alternance

L’élection de Julius Maada Bio a surpris nombre d’observateurs et même certains participants au sommet. Alors que le Président sénégalais, Bassirou Diomaye Faye, faisait figure de favori, soutenu en coulisses par plusieurs capitales francophones, et que le Président ghanéen apparaissait comme un compromis acceptable, c’est finalement un autre chef d’État anglophone qui a été retenu. Une entorse à la règle non écrite d’alternance entre les espaces linguistiques qui régissait jusque-là la présidence tournante de l’organisation.

Cette rupture de la tradition a nourri des tensions lors du huis clos qui a précédé l’annonce officielle. Plusieurs heures de discussions parfois âpres ont été nécessaires pour aboutir à ce choix.

Un mandat qui ne sera pas de tout repos

« Notre région est à la croisée des chemins », a lancé Julius Maada Bio dans son discours d’installation, donnant le ton d’un mandat qu’il souhaite tourné vers la restauration de l’ordre constitutionnel, la réforme de l’architecture sécuritaire régionale et la relance du projet d’intégration économique. Trois priorités affichées alors même que la CEDEAO traverse sans doute l’une des périodes les plus difficiles de ses cinquante ans d’existence.

La multiplication des coups d’État militaires — au Mali, en Guinée, au Burkina Faso, et plus récemment au Niger — a profondément ébranlé la légitimité et l’efficacité de l’organisation. En janvier 2024, le retrait annoncé du Burkina Faso, du Mali et du Niger pour renforcer l’Alliance des États du Sahel (AES) créée quelques semaines plus tôt a été un coup dur porté à l’organisation régionale, fragilisant davantage le projet d’intégration ouest-africaine.

Lors du sommet, les chefs d’État ont d’ailleurs décidé de nommer un négociateur chargé de superviser la sortie coordonnée des trois pays du bloc régional. Le retrait effectif est attendu pour fin juillet, scellant la fin d’un chapitre douloureux pour l’organisation.

Sécurité et monnaie : deux chantiers cruciaux

Au-delà de la crise institutionnelle, c’est un véritable état d’urgence sécuritaire qui domine la feuille de route du nouveau Président en exercice. Le Sahel, les régions frontalières du nord du Bénin et du Togo, certaines zones du Nigeria, de la Côte d’Ivoire et, dans une moindre mesure du Ghana, sont régulièrement frappées par des attaques terroristes. L’instabilité politique chronique, les trafics transnationaux, la circulation incontrôlée d’armes et la faiblesse des institutions locales alimentent ces menaces.

La CEDEAO avait annoncé la création d’une « force en attente » censée intervenir rapidement en cas de crise. Mais à ce jour, cette force reste au stade de projet. Julius Maada Bio est désormais attendu pour concrétiser ce chantier stratégique et rétablir une forme d’autorité régionale sur les questions sécuritaires.

Autre dossier explosif : la monnaie unique. Vingt-cinq ans après les premières annonces, l’Eco n’a toujours pas vu le jour. Les divergences entre les États francophones et anglophones, ainsi que les réticences de certains partenaires économiques, notamment le Nigeria, ont gelé l’avancée du processus. Pour Julius Maada Bio, réussir à relancer ce chantier serait un coup de maître diplomatique.

Vers une recomposition de l’espace ouest-africain ?

L’élection de Julius Maada Bio intervient à un moment charnière. La CEDEAO, autrefois référence en matière de diplomatie préventive et d’intégration économique, est aujourd’hui contestée sur plusieurs fronts. Son rôle de médiateur est de plus en plus contesté, et son autorité est affaiblie par la montée de nouvelles alliances régionales à géométrie variable, comme l’AES ou même les coopérations sécuritaires bilatérales (notamment entre les pays du Sahel et la Russie).

Le Président sierra-léonais aura la lourde tâche de restaurer la crédibilité de l’organisation et de lui redonner un nouveau souffle. Ce qui suppose, au-delà des grands discours, une volonté politique réelle de réforme, d’écoute mutuelle entre États membres et d’adaptation aux réalités mouvantes d’une région en pleine mutation.

Avatar photo
Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
Facebook Linkedin
Newsletter Suivez Afrik.com sur Google News