Tunisie : un cri de colère unitaire contre la dérive autoritaire de Kaïs Saïed


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Des manifestations en Tunisie
Des manifestations nocturnes en Tunisie

Malgré une répression qui s’intensifie et un climat de peur, la Tunisie vient de connaître sa plus large mobilisation contestataire depuis des mois. En unissant partis, société civile et familles de détenus, la marche du 22 novembre sur l’avenue Bourguiba traduit un ras-le-bol national face à la dérive autoritaire de Kaïs Saïed, et résonne comme un avertissement à l’approche d’un hiver politique à haut risque.

Samedi 22 novembre, le centre-ville de Tunis a résonné sous les slogans contestataires : plus de deux mille manifestants, habillés de noir en signe de deuil démocratique, ont convergé vers l’avenue Bourguiba. Leurs chants et pancartes dénonçaient la transformation du pays en « prison à ciel ouvert ».​

Sous le mot d’ordre « Contre l’injustice », cette mobilisation d’une ampleur rare a réuni des organisations de la société civile, des partis politiques fragmentés, ainsi que les proches de détenus et de simples citoyens. Le cortège, compact et silencieux au départ, est progressivement devenu imposant et sonore. Les organisateurs avaient exigé l’absence de tout sigle partisan ou portrait de prisonniers pour garder une dimension nationale et grave, consigne respectée et saluée par la presse.​

« Le peuple veut la chute du régime », « Ni peur ni terreur, la rue appartient au peuple », « Un pays devenu une immense prison » : les slogans rappelaient l’énergie révolutionnaire de 2011 et soulignaient la morosité actuelle. Des voix scandaient aussi un « L’hiver arrive », en référence aux turbulences politiques et aux baisses de température improvisées ce week-end.​

Échos et tensions au lendemain

La presse tunisienne du dimanche évoque un pays au bord de la rupture, soulignant que l’événement pourrait marquer un tournant et signaler l’affrontement croissant entre le pouvoir et son opposition. La disparition de dimanche du comédien Noureddine Ben Ayed, monument du théâtre tunisien, vient assombrir ce tableau déjà tendu.​

La mobilisation s’est tenue dans un contexte de répression accrue : Human Rights Watch recense plus de 50 arrestations ou poursuites arbitraires depuis 2022. Jawher Ben Mbarek, figure de l’opposition, poursuit une grève de la faim depuis trois semaines, hospitalisé à plusieurs reprises, tandis que des condamnations éclairs illustrent la dérive du système judiciaire.​

Colère sociale et revendications croisées

Au-delà des revendications démocratiques, le cortège a marqué une halte devant le Groupe chimique tunisien, symbole des luttes environnementales portées par la région de Gabès. Des mouvements syndicaux, dont l’UGTT et la fédération des industries alimentaires, préparent de nouvelles grèves pour décembre, attestant de la convergence des luttes sociales.​

Face à ce surgissement contestataire, la présidence continue de nier la crise et d’invoquer une « guerre de libération » contre des ennemis intérieurs, insistant sur sa légitimité et refusant toute ouverture au dialogue.​

« Pauvreté, inflation, prisons pleines, plus de liberté d’expression », résume un cordonnier interrogé dans la presse. Si la police reste discrète, l’ampleur nouvelle des mobilisations laisse présager d’importantes secousses à venir. La question n’est plus de savoir si une explosion sociale aura lieu, mais quand et comment elle surviendra. Ce week-end du 22-23 novembre restera peut-être comme celui où la Tunisie a crié d’une seule voix : « ça suffit ! »

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Ali Attar est un spécialiste reconnu de l'actualité du Maghreb. Ses analyses politiques, sa connaissance des réseaux, en font une référence de l'actualité de la région.
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