Tunisie : suspension d’une ONG de défense des migrants, nouveau signe de régression démocratique en Afrique du Nord


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Des migrants sénégalais tentent de rejoindre l'Europe
Des migrants sénégalais

La suspension du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES) révèle une nouvelle étape du rétrécissement de l’espace civique en Afrique du Nord. Alors que les ONG demeurent un contre-pouvoir essentiel face aux politiques migratoires restrictives, leur marge d’action se réduit sous la pression des autorités. En Tunisie, au Maroc ou en Libye, les organisations indépendantes voient leurs activités limitées, leurs financements surveillés et leurs voix étouffées, signe d’une dérive autoritaire régionale où la défense des droits humains devient un terrain de plus en plus risqué.

En Tunisie, l’espace de la société civile s’érode à grande vitesse. Cette semaine, les autorités ont suspendu pour un mois les activités du Forum tunisien pour les droits économique et sociaux (FTDES), l’une des dernières ONG à s’exprimer sur le sort des migrants subsahariens dans le pays. Cette décision s’inscrit dans une tendance observée en Tunisie, mais aussi au Maroc et en Libye, où les organisations de défense des droits sont de plus en plus contraintes.

Suspension de l’ONG tunisienne : contexte et implications

L’annonce de la suspension de FTDES, rendue publique le 27 octobre 2025, marque une étape supplémentaire dans la dérive autoritaire du pays. Officiellement, la mesure s’appuie sur des audits financiers et fiscaux en cours, mais les observateurs y voient surtout une tentative de museler les voix indépendantes, notamment celles qui s’élèvent pour les migrants. En effet, depuis 2021, avec la prise de pouvoirs du président Kaïs Saïed, les conditions pour les acteurs de la société civile se sont fortement dégradées.

FTDES, fondée après la révolution de 2011, mène depuis des années des enquêtes et des mobilisations sur la traite des migrants, la pollution environnementale ou encore les droits des travailleurs agricoles. Sa mise en pause montre que même les ONG historiques ne sont plus à l’abri. Parallèlement, le gouvernement tunisien a engagé des enquêtes contre des dizaines d’associations accusées de financement étranger, gelé les avoirs d’autres et dissous plusieurs structures.

Libye et Maroc dans la même dynamique

Cette situation tunisienne ne se limite pas à ses frontières. En Libye, par exemple, les autorités ont ordonné, en avril 2025, la fermeture de bureaux de dix organisations internationales d’aide aux migrants, accusées de « changer la composition démographique » du pays en favorisant les Africains. Ce modèle de répression des ONG travailleuses de la migration est devenu une tendance nord-africaine, qui touche aussi le Maroc.

Dans ce contexte, la Tunisie apparaît à nouveau comme un maillon d’un phénomène régional : celui d’États utilisant les enjeux migratoires pour resserrer le contrôle sur la société civile. En Libye, les expulsions massives de migrants à travers le désert ou vers la frontière avec le Niger illustrent aussi cette logique de fermeture.

Migration, droits humains et enjeux géopolitiques

Le rôle des ONG dans la protection des migrants est d’autant plus crucial en Tunisie qu’elle est à la frontière de multiples routes migratoires. Les ONG critiquent d’ailleurs le fait que la Tunisie ne puisse plus être considérée comme « un lieu sûr » pour les personnes secourues en mer, tant elle participe à des expulsions collectives vers la Libye ou l’Algérie. Cette réalité humanitaire marque l’arrière-plan de la campagne de répression : museler ceux qui alertent sur ces pratiques.

Au-delà du droit humanitaire, la dimension géopolitique est forte. L’Union européenne, via ses accords sur la migration avec la Tunisie, soutient indirectement des mécanismes de contrôle et externalisation des frontières. Dans ce cadre, la limitation de l’espace civique tunisien est perçue par certains comme une conséquence de ce partenariat : l’aide européenne est parfois conditionnée à des résultats migratoires, au détriment des droits.

Quelles conséquences pour la société civile tunisienne ?

La suspension de FTDES est emblématique. Elle provoque plusieurs effets immédiats : d’abord la mise en alarme de centaines de migrants qui dépendaient des activités de l’ONG. Ensuite, elle envoie un signal de dissuasion aux autres acteurs de la société civile. Enfin, elle fragilise un élément de vigilance démocratique dans un pays déjà marqué par la fermeture politique.

Pour les ONG, le champ d’action se réduit : audits, pressions, gel des comptes ou interdictions s’ajoutent et dissuadent l’engagement, notamment sur des thèmes sensibles comme la migration ou les droits des étrangers. Cela affaiblit aussi la capacité du pays à répondre aux défis migratoires avec transparence et respect des droits, et crée un vide dans la protection des personnes vulnérables.

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Je suis passionné de l’actualité autour des pays d’Afrique du Nord ainsi que leurs relations avec des États de l’Union Européenne.
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