Tunisie : Sheraton Tunis Hotel, établissement homophobe ou de « mafia politique » ?


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Mounir Baatour, avocat et responsable d’un parti politique, a été condamné ce jeudi par la justice tunisienne à trois mois de prison ferme pour « sodomie ». Il a été surpris par la police au lit avec un homme en mars 2013 au Sheraton Hotel Tunis. Sans le concours du personnel de l’hôtel, Mounir Baatour n’aurait probablement jamais pu être pris sur le fait. Le Sheraton Hotel Tunis collabore-t-il avec les autorités locales pour piéger les opposants et/ou homosexuels du régime actuel ?

Que se passe-t-il au Sheraton Tunis Hotel ? La direction, par le biais de la réception de l’hôtel, a-t-elle des arrangements avec des personnalités placées au plus haut sommet de l’Etat ou avec la police pour piéger des opposants et/ou homosexuels qui séjournent dans cet hôtel ? Ce sont en tout cas des questions que l’on se pose après l’arrestation le 29 mars 2013 de Mounir Baatour, avocat et responsable du Parti Libéral Tunisien (PLT), pour « sodomie ». Il a été condamné ce jeudi à purger une peine de prison de trois mois ferme après avoir été découvert par la police dans une chambre du Sheraton avec un homme.

L’affaire remonte au 28 mars 2013. La presse tunisienne n’en parle pas vraiment hormis quelques médias en ligne. Les internautes, en revanche, enflamment les réseaux sociaux de cette histoire de mœurs. Mounir Baatour, en compagnie d’un jeune homme de 20 ans, loue une chambre au Sheraton Hotel Tunis. Et alors que Mounir Baatour se trouvait en position de sodomie passive, la police fait irruption dans la chambre et procède à son arrestation pour « attentat à la pudeur » et pratique de la sodomie. Un acte puni de cinq ans d’emprisonnement par la loi tunisienne.

A moins d’avoir été scrupuleusement pisté par la police, comment les forces de l’ordre ont-ils fait pour faire irruption dans sa chambre à ce moment précis ? Est-ce que les responsables du Sheraton Hotel Tunis sont complices ? Ont-ils fourni des indications aux forces de l’ordre sur la date et l’heure de réservation de la chambre ? Si tel est le cas, pourquoi auraient-ils collaboré pour piéger Mounir Baatour ?

Un opposant qui dérange ?

Mounir Baatour est certes à la tête d’un petit parti, à peine connu du grand public d’ailleurs, mais son franc-parler ne passe en tout cas pas inaperçu. Cet avocat de profession affiche haut et fort son opposition la plus ferme au parti islamiste Ennahda, dirigé par Rached Ghannouchi, mais aussi au parti Nidaa Tounes lancé le 16 juin 2012 par l’ancien Premier ministre de la transition Béji Caïd Essebsi. Sa profession lui assure une position confortable pour diffuser des messages forts. Des messages qui peuvent déranger certains politiques haut-placés dans un pays toujours fragilisé par le soulèvement populaire de janvier 2011. En le faisant surveiller et en récoltant des informations de réservation auprès du Sheraton Hotel Tunis, ont-ils voulu donner une leçon à Mounir Baatour ? Telle est la question.

Autre élément important. Qui est ce jeune homme de 20 ans qui était en compagnie de l’avocat ? Depuis le début de cette affaire, plus personne n’a entendu parler de lui. Volatilisé ? Jugé ? Emprisonné ? Personne n’est en mesure de nous apporter l’information.

Contacté par Afrik.com, les responsables du Sheraton Hotel Tunis restent injoignables. Hôtel homophobe ? De mèche avec les autorités pour dénoncer les homosexuels ? Piéger les opposants en plein acte sexuel ? Les responsables du Sheraton Hotel Tunis ont sûrement des réponses à apporter…

Mariam Mnaouar, l’activiste et présidente du Parti Tunisien (PT), s’est dite « inquiète » quant au sort réservé à Mounir Baatour. Elle déclare apporter son soutien au président du PLT. Selon elle, la défense de ce dernier serait assurée par une association qui défend les minorités visibles en Tunisie. « Mon parti soutien Mounir Baatour, et tant pis pour les risques que l’on prendra », confie Mariam qui se questionne sur le rôle joué par l’hôtel Sheraton dans l’arrestation de l’opposant.

Des hôtels de mèche avec la police

Des homosexuels piégés dans les hôtels, une habitude en Tunisie. L’homosexualité dans ce pays est de fait tolérée mais sévèrement puni par la loi en cas de flagrant délit ou dénonciation comme dans tous les pays musulmans. En raison notamment de la proximité géographique, la Tunisie fait partie des destinations du tourisme gay italien. En 2005, un touriste gay italien, *Marco, s’est justement retrouvé dans une situation compliquée avec ses partenaires tunisiens, d’après une interview réalisée par le journaliste et militant italien des droits des homosexuels Enrico Oliari.

Marco avait l’habitude de retrouver *Mohammed chaque année à Tunis, son amant tunisien. Mais les retrouvailles, cet été de 2005, qui devaient être « harmonieuses » et « pétillantes » se sont transformées en un véritable cauchemar.

A la veille du départ de Marco, le couple d’amant invite un ami âgé d’environ trente ans, *Omar. Pour éviter d’attirer l’attention, le couple et l’ami ont pris deux chambres. Une chambre pour Marco et une chambre double avec lits séparés pour les deux Tunisiens. Après une longue et dernière nuit de « plaisir », Marco reprend l’avion pour Rome. Mais quelques jours après, celui-ci reçoit un coup de fil de l’épouse de Mohammed qui lui apprend que Mohammed et Omar ont été arrêtés, jugés et condamnés pour « sodomie ». Qui les a dénoncés ?

Mohammed et Omar ont écopé d’un an de prison et deux ans pour Marco. La peine de ce dernier avait été réduite à six mois en appel. Marco en est convaincu, seul le personnel de l’hôtel haut de gamme dans lequel il séjournait a pu prévenir la police. Pourtant, « nous étions dans nos chambres et les portes étaient fermés à clés ». Cette mésaventure conforte l’idée que certains hôtels, dont le Sheraton, pourraient être de mèche avec la police pour dénoncer les couples homosexuels.

Un hôtel à scandale

Le Sheraton Hotel Tunis est désormais un habitué des scandales. En 2012, la blogueuse et journaliste Olfa Riahi était devenue la personnalité tunisienne. Elle s’était appuyée sur des « documents authentiques » pour dénoncer les dépenses excessives au Sheraton de Rafik Abdessalem, ministre des Affaires étrangères, le tout aux frais du ministère. La journaliste a même dévoilée la note d’une invitée du ministre qui a résidé dans la chambre voisine. « Un membre de la famille », expliquait alors le chef de la diplomatie tunisienne. Rafik Ben Abdessalem s’était justifié tant bien que mal en affirmant que pour des raisons pratiques, il était dans « l’obligation de passer la nuit dans cet hôtel, vu qu’il est proche de son lieu de travail ». Pourtant, selon Olfa Riahi, « son domicile personnel est proche de son lieu de travail ».

Accusée de « diffamation » et de « publication de fausses informations portant atteinte à la sécurité du pays », la journaliste a interdiction de quitter le territoire. « Je ne reculerai pas devant ce genre de pratiques, qui ne m’intimident point », avait déclaré la blogueuse à l’Agence Tunis Afrique Presse (TAP), avant d’ajouter qu’elle restait « à la disposition de la justice tunisienne ».

Soupçonné d’entretenir au Sheraton une relation extra-conjugale, le ministre islamiste n’aurait jamais eu à s’inquiéter si Olfa Riahi n’avait pas dévoilé l’affaire au grand public. Ce n’est certainement pas le personnel du Sheraton, sur lequel plane désormais des suspicions de collaboration avec les autorités locales, qui aurait convoqué la presse et la justice tunisienne.

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