
La France et la Suisse affichent deux attitudes diamétralement opposées face à la traque algérienne des milliards détournés sous Bouteflika. Tandis que Berne se montre exemplaire dans la restitution des avoirs illicites, Paris refuse d’extrader un ex-ministre condamné à 120 ans de prison.
Depuis la chute d’Abdelaziz Bouteflika en avril 2019, l’Algérie mène une bataille acharnée pour récupérer les milliards détournés sous l’ère de l’ancien président. Cette traque internationale, qui s’étend à une trentaine de pays, révèle aujourd’hui des disparités saisissantes selon les partenaires sollicités. Si la Suisse affiche une coopération exemplaire, la France adopte une position beaucoup plus défensive, bloquant toute coopération et créant un contraste troublant avec sa politique d’expulsion sélective des ressortissants algériens.
La main tendue de la Suisse : « l’argent du peuple doit retourner au peuple »
La Suisse a réaffirmé sa volonté de coopérer avec l’Algérie pour la récupération des fonds algériens détournés et transférés à l’étranger lors de la visite à Alger de Beat Jans, ministre suisse de la Justice et de la Police, qui a rencontré son homologue algérien, Lotfi Boudjemaa, ministre de la Justice.
« La Suisse est déterminée à coopérer avec l’Algérie pour la restitution des fonds détournés. On peut aider l’État algérien à récupérer l’argent du peuple« , a déclaré Beat Jans, offrant ainsi une formule qui résume parfaitement l’enjeu : rendre au peuple algérien ce qui lui appartient.
Le pays helvétique dispose d’une législation stricte en matière de gel des avoirs et de restitution des fonds illicites, ce qui constitue un atout majeur pour l’Algérie. En effet, il a déjà mis en place des mécanismes juridiques permettant de geler et de restituer les avoirs illicites, s’inscrivant dans un contexte mondial de lutte contre le blanchiment d’argent et la corruption.
L’Algérie a présenté à la Suisse plusieurs dossiers concrets, notamment ceux concernant l’ancien ministre de l’Industrie Abdeslam Bouchouareb et l’ex-ministre de l’Énergie Chakib Khelil. Selon un communiqué du département fédéral de justice et police de la Suisse, Beat Jans a souligné que « la restitution des avoirs bloqués d’origine illicite relève d’une décision prise par les autorités judiciaires indépendantes« , soulignant le caractère technique, juridique et apolitique de cette coopération.
L’Algérie a modernisé sa réglementation
Parallèlement à cette diplomatie judiciaire, l’Algérie a modernisé son arsenal législatif pour faciliter la récupération des fonds détournés. Une nouvelle mesure, introduisant un règlement amiable dans le cadre des affaires de détournement de fonds, permet aux autorités de récupérer les fonds détournés sans avoir recours à des procès longs et coûteux.
Pour garantir l’efficacité de cette stratégie, le projet de réforme inclut la création d’une agence nationale de gestion des fonds saisis, gelés ou confisqués, qui aura pour mission d’administrer les biens issus de la criminalité financière.
Le cas français : entre protection et expulsion sélective
L’attitude de la France contraste singulièrement avec celle de la Suisse. L’affaire Abdeslam Bouchouareb illustre parfaitement cette géométrie variable. La justice française a prononcé un avis défavorable définitif à l’extradition de l’ancien ministre de l’Industrie réclamé par la justice algérienne, motivé par « les conséquences d’une gravité exceptionnelle » que pourrait avoir l’extradition de l’ex-ministre de 72 ans en raison de son âge et de son état de santé. Cette décision survient malgré des condamnations lourdes : Abdeslam Bouchouareb a été condamné cinq fois à une peine de 20 ans de prison dans des affaires de corruption distinctes en Algérie. L’Algérie avait introduit six demandes d’extradition auprès de la justice française, toutes rejetées.
Le ministère des Affaires étrangères algérien a souligné une « absence totale » de coopération judiciaire de la France malgré les accords qui lient les deux pays en la matière. Cette position algérienne reflète une frustration compréhensible face à ce qui est perçu comme une protection accordée aux figures de l’ancien régime.
Ce qui rend cette situation particulièrement paradoxale, c’est la simultanéité de cette protection avec une politique d’expulsion agressive à l’encontre d’influenceurs algériens. Ces derniers mois, plusieurs influenceurs algériens ont été arrêtés et expulsés pour des contenus jugés menaçants sur les réseaux sociaux.
Cette différence de traitement alimente un ressentiment croissant. Le contraste est saisissant : alors qu’un ancien ministre condamné pour corruption peut invoquer son état de santé pour rester en France, des créateurs de contenus algériens sont considérés comme des menaces et renvoyés sans ménagement vers Alger.
Un enjeu de 30 milliards de dollars
Les chiffres révèlent l’ampleur du défi. Le président Abdelmadjid Tebboune a fait état de « la récupération de plus de 30 milliards de dollars de fonds détournés entre sommes d’argent, biens immobiliers et unités industrielles » lors de son discours à la Nation. Le chef de l’État avait précisé que « le travail se poursuit pour récupérer les fonds détournés vers l’étranger » et que « nombre de pays européens ont affiché leur disposition à restituer les fonds détournés au peuple« .
Pour l’Algérie, il s’agit de rendre justice au peuple algérien spolié pendant deux décennies. Dans cette perspective, chaque dollar récupéré représente une victoire contre l’impunité et un pas vers la reconstruction d’un État transparent.