Affaire Sonatrach 2 : Chakib Khelil visé pas un mandat d’arrêt international


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L’ex-ministre algérien de l’Energie et des Mines, Chakib Khelil, son épouse, ses enfants et cinq autres personnes font l’objet d’un mandat d’arrêt international dans le cadre de l’affaire Sonatrach. Le Procureur général, Belkacem Zermati, l’a annoncé lors d’une conférence de presse tenue ce lundi, à Alger.

Ce ne sont pas moins de neuf mandats d’arrêt internationaux qui ont été lancés par le Procureur général près la cour d’Alger, Belkacem Zermati, dans le cadre de l’affaire dite « Sonatrach 2 ». En ligne de mire, l’ancien ministre algérien de l’Energie et des Mines, Chakib Khelil, son épouse et ses deux enfants. Cinq autres personnes sont également visés par ces mandats : Redha Hamche, neveu de Khelil et ex-directeur de cabinet du PDG de la Société Nationale pour la Recherche, la Production, le Transport, la Transformation, et la Commercialisation des Hydrocarbures (Sonatrach), Farid Bedjaoui (déjà concerné par un autre mandat d’arrêt international lancé par la justice italienne), ancien bras droit de l’ex-ministre, et trois binationaux ayant joué le rôle d’intermédiaire pour l’obtention de marchés dans le secteur de l’Energie, a-t-on appris à l’issue d’un point presse organisé ce lundi par le Procureur Zermati.

Chakib Khelil est accusé de « corruption, trafic d’influence, abus de fonction, blanchiment d’argent et direction d’une association de malfaiteurs et d’une organisation criminelle transnationale ». De lourdes accusations qui pourraient mener l’ancien ministre droit en prison. Mais ce dernier est actuellement « réfugié » aux Etats-Unis avec son épouse et ses enfants où ils disposent de la nationalité américaine. Que nenni, pour la justice algérienne, Khelil est Algérien. En mai dernier, le juge d’instruction en charge de l’affaire Sonatrach a convoqué l’ancien ministre. Ce dernier a fait parvenir depuis les Etats-Unis une lettre manuscrite accompagnée d’un certificat médical indiquant que pour raison de santé, il est dans l’incapacité de voyager durant deux mois. Deux mois se sont écoulés, plus aucune nouvelle de Khelil. D’où le mandat d’arrêt.

« Lever toute équivoque » sur l’affaire Sonatrach 2

Au total, vingt personnes physiques et deux morales (Saipem et Orascom Industrie) ont été inculpées, dont deux placées sous mandat de dépôt et deux autres sous contrôle judiciaire. Dans le but de « lever toute équivoque » sur le déroulement de l’affaire Sonatrach 2, le Procureur général a tenu à organiser, à la dernière minute, cette conférence de presse. « Comme promis, je vais faire état du développement de toute l’instruction judiciaire sur cette affaire qui vient en prolongement à celle dite Sonatrach 1 et a été clôturée le 14 octobre 2012, avec l’inculpation de neuf personnes physiques et Saipem en tant que personne morale », a-t-il indiqué. L’affaire Sonatrach 2 arrive en prolongement de l’affaire Sonatrach 1.

D’après le Procureur Zermati, des montants très importants ont été versés aux intermédiaires afin qu’ils transfèrent ces sommes sur les comptes des dirigeants de la Sonatrach et de l’ancien ministre de l’Energie. Ces opérations bancaires ont été exécutées dans de nombreux pays, et les fonds « aboutissaient soit directement chez les responsables de l’énergie ou indirectement chez les membres de leurs familles, leurs proches ou leurs anciennes connaissances ». Les autorités judiciaires suisses qui ont reçu une commission rogatoire ont demandé le dossier d’un des accusés et l’autorisation de l’entendre sur les faits qui lui sont reprochés. Il s’agit de Redha Hamche, résident suisse.

L’Algérie a « failli à sa mission de contrôle »

D’après Belkacem Zermati, l’enquête a permis de retrouver plusieurs comptes en Asie, en Europe, aux Emirats Arabes Unis, au Moyen-Orient et aux Etats-Unis. « Les montants de chacune de ces opérations varient entre 20 millions de dollars et 175 millions d’euros. Une partie de ces fonds a été investie dans l’achat de biens immobiliers en Europe ». En Algérie, les comptes bancaires de l’ensemble des accusés ont été gelés et leurs biens saisis. Le procureur a salué « la bonne coopération » de l’Italie, de la France et de la Suisse après avoir demandé « le gel de tous les fonds en lien avec l’affaire ». Selon Zermati, les demandes de gel ont été acceptées par tous les pays avec lesquelles l’Algérie travaille. « Nous travaillons dans la discrétion et nous prenons tout le temps qu’il faut, parce que le pire ennemi du juge est la précipitation. Toutes les accusations portées contre Chakib Khelil ont été étayées par des faits probants qui ne laissent aucune faille et qui ont eu comme suite inévitable le mandat d’arrêt international. Les procédures de gel des comptes domiciliés à l’étranger et de la saisie conservatoire des biens de tous les accusés sont en cours ».

Alors que ses logements à Alger et à Oran étaient perquisitionnés, Chakib Khelil avait quitté le territoire sans être inquiété. Pourquoi n’a-t-il pas été retenu à l’aéroport ? « Le juge a le droit de procéder à des perquisitions dans des lieux qu’il juge en lien avec les faits sans que le propriétaire soit inculpé. Chakib Khelil n’était pas inculpé au moment où ses domiciles étaient fouillés », a indiqué le Procureur général. Dans l’affaire Sonatrach 1, l’ancien ministre n’était là aussi pas inculpé. Zermati avance que les « faits contenus dans le dossier sont différents de ceux de Sonatrach 2 ». Il a néanmoins tenu à tempérer la situation en précisant que la corruption est un phénomène mondial qui ne touche pas que l’Algérie. « Nous avons failli à la mission de contrôle. Et quand je dis « nous », je vise tous les responsables, chacun à son niveau. J’espère que cette affaire servira de leçon à nos dirigeants pour le futur. Si nous avons réagi en réprimant, c’est que nous avons failli en prévention…», conclut le Procureur général.

Un réseau bien ficelé

La justice italienne continue d’enquêter sur ce vaste système de corruption entre la Sonatrach et ses partenaires. Deux hommes sont particulièrement mis en cause dans cette affaire : Mohamed Rheda Hamche, le propre neveu de l’ancien ministre de l’Energie, et Farid Bedjaoui, décrit comme « le cerveau de la corruption ». Hamche a un passé sulfureux. Originaire de Hennaya, dans la région de Tlemcen, il a entamé sa carrière au début des années 90 comme simple agent consulaire en Turquie. En 1997, il est arrêté à Marseille en possession de deux véhicules volés. Ce qui n’empêchera pas son oncle de faire de lui son conseiller au ministère de l’Energie avant d’être parachuté, en 2001, à la tête de la cellule sponsoring de la Sonatrach. Il distribue alors des millions de dollars aux clubs et associations de soutien au Président Bouteflika, supervise les contrats accordés par Sonatrach (pour une valeur de 2,1 milliards d’euros) à la firme algéro-américaine Brown & Root-Condor (BRC). Un scandale éclabousse BRC. Peu importe, Hamche grimpe encore les galons et décroche le poste de chef de cabinet du PDG de Sonatrach, Mohamed Meziane.

Farid Bedjaoui, installé à Dubaï, est à la tête du cabinet de conseil financier, Rayan Asset Management. Il est fait état qu’en 2001 Bedjaoui effectue un placement d’un milliard de dollars qui rapportera en cinq ans plus de 450 millions de dollars à la Sonatrach. C’est le jackpot, Khelil nomme Bedjaoui comme conseiller financier occulte et l’associe aux négociations avec le groupe pétrolier italien, Eni. Le cabinet de Bedjaoui est la bonne planque. Il sert de récipiendaire aux commissions et rétro-commissions touchées par des responsables algériens et italiens pour les marchés entre Sonatrach et Saipem. Le scandale éclate en Italie, le parquet de Milan ouvre une enquête. Hamche est soupçonné d’avoir empoché 2 millions d’euros de commissions après la signature de contrats entre la Sonatrach et la firme italienne, Saipem, spécialisée dans la recherche et les forages pétroliers. Il vit aujourd’hui en Suisse.

Les Algériens ne sont pas au bout de leur surprise et peuvent s’attendre, selon le Procureur Belkacem Zermati, à des nouveautés dans l’affaire Sonatrach 2. Le cercle des inculpations est susceptible d’être élargi et les « qualifications des faits peuvent être revues ».

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