Tiken Jah Fakoly : « L’Afrique unie va faire mal »


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« Il va falloir recoller les morceaux », confiait à la presse le week-end dernier Tiken Jah Fakoly, l’un des porte-parole les plus éminents du reggae africain, au sujet de son pays, la Côte d’Ivoire. En concert à Montpellier le 7 avril où il présentait son nouvel album, African Revolution, nous l’avons rencontré. Il s’est longuement exprimé sur la situation ivoirienne. Il a aussi évoqué son combat pour l’unité et le réveil africains.

Dès le début de la discussion, Tiken Jah Fakoly exprime la tristesse que lui inspire le contexte politique en Côte d’Ivoire. Déchiré pendant plusieurs mois par une guerre civile, le pays est finalement sorti du bourbier le 11 avril dernier avec l’arrestation du président sortant Laurent Gbagbo.

Un printemps subsaharien ?

Ses critiques à l’encontre de l’ancien chef de l’Etat ne manquent pas. « Durant dix ans de mandat, il n’a rien fait. Il n’a pas donné de travail aux jeunes, les enfants ne sont pas allés à l’école et la corruption a atteint un niveau impressionnant ». Depuis, une nouvelle page a été tournée avec l’installation du président élu, Alassane Ouattara. D’après le chanteur, c’était une condition indispensable au renouveau à laquelle il faut ajouter les processus de réconciliation nationale et surtout d’unité – une valeur qui lui est chère, comme en témoignent les nombreuses références faites dans ses textes à ce sujet.

Les soulèvements, depuis le mois de décembre dans le monde arabe, ne laissent pas notre interlocuteur insensible. Quant à savoir si le mouvement peut gagner un jour l’Afrique subsaharienne, il reste pragmatique. « Le vent qui souffle dans le monde arabe va forcément arriver en Afrique noire, mais dans dix ou quinze ans car nous ne sommes pas prêts, la majorité d’entre nous ne sachant ni lire, ni écrire ». L’éducation est, dit-il, plus avancée au Moyen Orient et au Maghreb, d’où le développement de contestations populaires dans ces régions. « Il va être difficile, pour nous, d’expliquer au peuple africain qu’il est nécessaire de se retrouver sur la place publique pour réclamer nos droits ». Néanmoins, il ne cache pas son souhait de voir éclore un printemps subsaharien.

« La solution principale, c’est l’unité »

Si l’éducation est indispensable, la notion d’unité est aussi, selon lui, incontournable pour accéder à un meilleur développement de l’Afrique. A cela s’ajoute la nécessité de « parler d’une seule voix » ainsi que d’organiser la protection et le contrôle des matières premières dont le continent africain regorge. Un impératif qui prend tout son sens au regard de la compétition à laquelle se livrent les pays occidentaux et la Chine pour s’arroger les contrats en matière d’exploitation des minerais et autres ressources gazières ou pétrolières – une activité gangrenée par la corruption et le clientélisme. De nos jours, « deux clients viennent acheter dans nos boutiques », explique le chanteur. Et, de son point de vue, la présence du géant asiatique, peu regardant en matière de droits de l’homme, ne vient pas rétablir l’équilibre des forces dans les échanges entre l’Afrique et ses soi-disant partenaires.

Dans son nouvel album, Tiken Jah Fakoly continue donc de traiter ces sujets et de mener son combat pour un réveil de l’Afrique. Défense de la liberté d’expression, condamnation de la corruption… Ses chevaux de bataille, d’une terrible actualité, restent les mêmes.
Et l’artiste paraît déterminé à poursuivre sa lutte. Invité de France Inter le 12 avril dernier, il a appelé le footballeur Didier Drogba, capitaine de la sélection ivoirienne, à faire usage de sa popularité afin de promouvoir la réconciliation nationale. Lorsqu’on interroge le chanteur sur ses ambitions politiques potentielles, la réponse est cependant claire et sans appel. Nous ne verrons jamais Doumbia Moussa Fakoly, de son vrai nom, sur une quelconque affiche électorale. Malgré tout, même s’il ne souhaite pas être le Michel Martelly ivoirien, une chose est sûre, il continuera par sa musique d’assurer son rôle non-officiel d’ambassadeur de l’Afrique.

Par Gauthier Dupraz

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