Tidjanes et mourides ?


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Grand Magal de Touba
Grand Magal de Touba

Le Sénégal, et plus généralement toute l’Afrique de l’Ouest, ont été marqués au milieu du 19ème siècle par de grands hommes religieux tels que Cheikh Omar Fouty Tall, El Hadj Malick Sy et Ahmadou Mbacké. Par leur intermédiaire le pays a connu deux vagues de revivification de la foi islamique que l’on définira par les termes de Tidjanisme et de Mouridisme, deux courants du soufisme, doctrine ésotérique de l’islam mystique et ascétique.

Par Badara Diouf

Au Sénégal, la majorité des musulmans se rattache encore, de près ou de loin, à un guide religieux (un marabout). Et, tous les marabouts sont généralement liés, à des degrés divers, à une confrérie religieuse. Par extension donc, la plupart des musulmans se trouvent en liaison avec une confrérie, qui peut aller de la simple sympathie à une véritable affiliation. Ainsi, lorsque l’on parle de l’Islam au Sénégal, les premiers mots qui viennent à l’esprit des Occidentaux connaissant le pays est la sempiternelle question : « Etes vous tidjane ou mouride ? ». Que signifient ces deux termes pour les noms avertis ? Tidjanisme, Mouridisme ? Quelle est la genèse de ces deux courants parfois appelés aussi tarîqa (voie religieuse). Tout un ensemble de questions qu’Afrik.com va essayer de présenter de manière assez simple en espérant aider à mieux comprendre cette réalité islamique sénégalaise, bien que la présence de ces deux tariqas ait dépassé les frontières de Sénégal.

Genèse et organisation

Pour comprendre ce que sont les confréries, il est primordial de remonter à l’histoire du soufisme, la voie mystique de l’Islam. Les confréries, en effet, prennent leur origine chez les grands mystiques musulmans des premiers siècles de l’Islam. Dès l’avènement de l’Islam, des hommes et des femmes, par la méditation, la compréhension des textes sacrés coraniques et par une vie désintéressée des choses matérielles afin de se consacrer à l’adoration divine, ont cristallisé leur quête de Dieu. Ces saints personnages furent appelés «soufis», du fait de l’habit en laine (souf, mot arabe) dont certains étaient vêtus. Entre le 9e et 10e siècles, qui furent l’âge d’or du soufisme, la religion musulmane a connu l’émergence de grands soufis, dont la vie et les propos ont été transmis oralement, sinon consignés dans des recueils par leurs disciples.

Progressivement et à partir du 12e siècle, autour de ces maîtres soufis, reconnus pour leur science religieuse, leur piété et leur rayonnement spirituel, des disciples se verront enseignés certaines sciences pour leur permettre d’entrer, eux aussi, en contact avec Dieu de manière intime et personnelle. Ainsi sont nées les Tariqa, que nous l’on définira comme des voies de salut de l’âme. Chaque confrérie portera en général le nom du fondateur qui est à l’origine de la doctrine puisée dans l’Islam. Les confréries sont des écoles de pensée musulmane avec à leur tête un guide religieux (marabout) qui est assisté de conseillés. Celui-ci reçoit et enseigne aux disciples et il a aussi le pouvoir d’affilier les nouveaux membres.

A chacun son wird

Comme pour tout musulman, les membres des confréries sont tenus à l’observation des cinq piliers de l’islam, cependant chaque confrérie a aussi une pratique singulière : des récitations (wird). Chaque confrérie a son wird propre, élément distinctif et identitaire qui sont définis par un ensemble d’incantations du nom de Dieu (Allah) et de prières sur le Prophète Muhammad, propices à la méditation à l’aide d’un chapelet de 99 ou 100 grains, ou la récitation de certains versets coraniques à effectuer après le lever et avant le coucher du soleil, soit une ou plusieurs fois par jour.

Les confréries pratiquent aussi un exercice spirituel caractéristique, appelé «dhikr», qui conduit ceux qui permettent aux membres «d’être en union avec Dieu » par la répétition de paroles coraniques, soit de la formule de l’attestation de la foi musulmane (Chahada), soit le nom de Dieu. Ces séances de dhikr constituent des moments forts de la confrérie. Chacune a sa propre manière de tenir ces séances spirituelles.

Les tidjanes représente 51% des musulmans du Sénégal

La Tidjanyya (ou le Tidjanisme a pour fondateur Sidi Ahmed Al Tijani, né en Algérie en 1737 et décédé à Fez (Maroc) en 1815. Les principes du tidjanisme sont les enseignements religieux traditionnels de l’Islam donc de la sunna du prophète Mohammed. A cela s’ajoute la récitation de litanies tirées du coran dites wird et dhikr (souvenir, rappel divin (ndrl) . L’affiliation au tidjanisme se fait du guide religieux, ou muqaddam (dignitaire de la confrérie) au disciple (talibé) à qui on donne le wird tidjane. Le tidjanisme est composé de plusieurs wird tels que la wasifa (prière), et la hadra (séance de dhikr en groupe effectué le vendredi). L’adhésion à la Tidjanyya exclut toute appartenance à une autre confrérie et le disciple doit faire le serment de ne pas abandonner l’engagement de pratiquer de pratiquer le wird, car il permet une purification morale et une ascension spirituelle.

Le tidjanisme est introduit au Sénégal vers 1835 par l’illustre chef religieux Cheikh Omar Tall (1799-1864) qui sera relayé par El hadji malick Sy (1855-1922) . Ce dernier propagera la confrérie en pays wolof (Sénégal). En 1902, il s’installera définitivement à Tivaouane (région du Sénégal) qui devient, sous son impulsion, une des capitales du tidjanisme au Sénégal, mais aussi un centre d’enseignement de la culture islamique avec la création des écoles coraniques nommées « daraa ».

La confrérie tidjane représente de nos jours plus de 51% des musulmans sénégalais (Le Sénégal est un pays à 90% musulman). Le calife est le représentant de la communauté. Les disciples tidjanes ont pour seul guide dans la perfection de leur quête divine : le coran, la sunna (enseignements du prophète) et le wird tidjane qui porte le nom de son fondateur. L’unique guide de la tarîqa est Cheikh Ahmed Tijani qui a hérité de sa science auprès du prophète, le reste des muqaddams (dignitaires de la confrérie) sont là pour aider les nouveaux disciples pour leur montrer la voie et les encadrer dans leur recherche spirituelle. Pour ce qui est de la succession du califat chez la famille Sy de Tivaouane, elle est se fait de père en fils ou parmi les frères aînés du marabout. Les membres de la communauté tidjane se retrouvent chaque année dans la ville sainte de Tivaouane ou autres villes du Sénégal où se trouvent des dignitaires de cette confrérie à l’occasion de la commémoration du Gamou (Maouloud (anniversaire de la naissance du Prophète) pour y célébrer des chants religieux et lectures coraniques.

La confrérie mouride

La Mouridyya (ou le mouridisme : un aspirant à Dieu, Muridul-Allah en arabe), fondée et enseignée par Cheikh Ahmadou Bamba, est un ensemble de pratiques cultuelles et de règles de conduites : un soufisme basée sur l’amour et l’imitation du Prophète Muhammad et dont la finalité est le perfectionnement spirituel. Un mode de vie et un ensemble de croyances et de pratiques cultuelles qui tirent leurs origines du Prophète de l’Islam.

Ahmadou Bamba (1850-1927) fût d’abord initié à la « Qadryya (une confrérie musulmane) » à st Louis (Sénégal) par le guide religieux mauritanien Cheikh Sidia. Vers 1880, il a fondé le mouridisme (basée sur l’expérience et la vie intérieure de la foie qui est une voie de rencontre avec Dieu et le détachement des biens matériels par ascétisme. Au delà de la volonté de former un ordre religieux (confrérie), Cheikh Ahmadou Bamba s’est avant tout soucié de ce que doit être le musulman, de ce qui constitue généralement sa vie spirituelle, des devoirs qui lui incombent dans les diverses circonstances de sa vie. Si l’on se réfère aux écrits (les Khassaides) de Cheikh Ahmadou Bamba, le mouridisme constitue un cadre d’élévation spirituelle et sociale du musulman. Le disciple mouride se doit d’essayer d’être un musulman qui « travaille » sa spiritualité sur les trois composantes de la religion musulmane : l’Iman, l’Islam et l’Ihsan.

Touba, ville sainte du mouridisme

L’iman est la foi en Dieu et au Prophète Muhammad comme le dernier des envoyés. Les préceptes fondamentaux résident dans une soumission à Dieu et l’accomplissement de 5 piliers qui sont : la chahada (attestation de l’existence d’un Dieu unique et que Muhammad est son dernier prophète), la prière (5 fois par jour), la zakat (impôt ou aumône légale à donner aux pauvres), le jeûne du Ramadan et le pèlerinage à la Mecque pour les personnes qui en ont les moyens financiers.

L’Ihsan (la bienfaisance) est la science de l’embellissement des actes. Le disciple, dans son comportement et sa manière de vivre doit être en accord avec la religion par un combat permanent en vue de se débarrasser de ses vices. C’est l’étape la plus difficile et c’est là que le disciple suit, voire imite les attitudes de son guide. Le disciple devra avoir un esprit critique et de discernement, notamment dans le choix du guide. Depuis son avènement, le point de base du mouridisme est la ville de Touba avec sa célèbre mosquée. La confrérie compte à sa tête un calife général commandeur de toute la communauté, et il est lui-même descendant direct du défunt et illustre Ahmadou Mbacké dit « Serigne Touba ». L’accès au « califat » se fait de père en fils ou parmi les frères aînés du défunt chef religieux pour perpétuer l’aura du fondateur de la tarîqa.

Wird makhousse

Aujourd’hui, on estime que la confrérie représente 30% sur 90% des musulmans sénégalais, elle est organisée de manière précise à savoir le chef ou calife qui guide et conseille ses disciples issus de toutes les couches sociales. Les écoles coraniques sont très présentes dans cette communauté pour enseigner les principes de l’Islam et les écrits du fondateur du mouridisme. Les membres de la communauté mourides se retrouvent chaque année dans la ville sainte de Touba pour célébrer le retour d’exil de Ahmadou Bamba, pour une fête dite le Magal de Touba.

Serigne Saliou Diakhaté, petit fils de Serigne Hamsatou Diakhaté qui comptait parmi les premiers disciples d’Ahmadou Bamba, ajoute d’autres informations : « le fondateur de la confrérie mouride est tout simplement un ‘Moujadide’ (revivificateur, ndrl) de la croyance musulmane car chaque époque est sujet à l’abandon des principes fondamentaux de l’Islam, donc la mission de celui-ci était de rappeler aux gens les bases de la religion sous l’époque coloniale française où il a vécu. Le mouride qui le peut a la possibilité de pratiquer ‘le wird makhousse’ qui est une révélation du Prophète Mohammad à Ahmadou Bamba lors de son séjour en Mauritanie. Ce wird est une combinaison de sourates coraniques à lire le matin et le soir, pour le mouride qui en a la possibilité».

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