Spicomellus afer : le dinosaure blindé marocain révèle ses secrets


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Spicomellus afer
Spicomellus afer

Il y a 165 millions d’années au Maroc vivait le plus extraordinaire des dinosaures blindés : Spicomellus afer arborait un collier de pointes d’un mètre de long et une armure si complexe qu’elle défie notre compréhension de l’évolution. Découvert en 2019, ce « dragon » du Jurassique vient de livrer ses secrets les plus spectaculaires dans une étude publiée dans Nature grâce à des fossiles du Maroc, remettant en question tout ce que nous pensions savoir sur les ankylosaures.

Au cœur des montagnes de l’Atlas marocain, près de la petite ville de Boulemane, se cachaient les restes fossilisés de l’un des dinosaures les plus extraordinaires jamais découverts. Spicomellus afer, dont le nom évoque poétiquement un « collier de pointes africain« , vient une nouvelle fois de stupéfier la communauté scientifique avec la publication, hier dans la revue Nature, de nouvelles découvertes qui redéfinissent notre vision de l’évolution des dinosaures blindés.

Un dinosaure né de la suspicion

L’histoire de Spicomellus commence en 2019 dans un bureau de Cambridge, lorsque la paléontologue Susannah Maidment du Natural History Museum de Londres examine avec méfiance un os fossilisé qu’elle vient d’acquérir auprès d’un marchand. « Au début, je pensais que le fossile était un faux », avoue-t-elle. Cette côte, ornée de pointes fusionnées directement à l’os, ne ressemblait à rien de connu dans le royaume animal.

Après des analyses au scanner révélant son authenticité, Maidment et son équipe décrivent officiellement en 2021 cette nouvelle espèce d’ankylosaure basée sur cet unique fragment. Mais ils ne s’arrêtent pas là. Tel un détective paléontologique, Maidment entreprend de retrouver l’origine exacte de ce fossile mystérieux, quelque part dans les environs de Boulemane, au Maroc.

L’armure la plus extravagante du règne animal

Les efforts de recherche portent leurs fruits. Les nouveaux fossiles découverts et analysés dans l’étude publiée hier révèlent un animal d’une complexité anatomique stupéfiante. Spicomellus, qui mesurait environ 4 mètres de long pour un poids estimé entre 1 et 2 tonnes, était littéralement hérissé de pointes et de plaques défensives d’une longueur et d’une élaboration inégalées.

Un collier mortel : La caractéristique la plus saisissante de ce dinosaure du Jurassique moyen était son collier osseux orné de pointes mesurant jusqu’à 87 centimètres de long, qui s’étendaient de chaque côté de son cou. Dans la vie, ces structures étaient probablement encore plus impressionnantes, recouvertes d’une gaine de kératine similaire aux cornes des bovins actuels.

Une panoplie défensive unique : Au-delà de ce collier spectaculaire, tout le corps de Spicomellus était bardé d’une armure complexe comprenant d’énormes pointes verticales au-dessus des hanches, une gamme de longues pointes en forme de lames, des pièces d’armure composées de deux longues pointes, et des plaques le long des épaules.
« Nous n’avons jamais rien vu de tel chez aucun animal auparavant« , déclare Susannah Maidment, encore émerveillée par ces découvertes.

Un paradoxe évolutionnaire

Ce qui rend Spicomellus encore plus fascinant, c’est son âge : à 165 millions d’années, il s’agit du plus ancien ankylosaure connu au monde. Cette ancienneté transforme radicalement notre compréhension de l’évolution de ces « tanks » préhistoriques.

« C’est particulièrement étrange car il s’agit du plus ancien ankylosaure connu, donc on pourrait s’attendre à ce qu’une espèce plus tardive ait hérité de caractéristiques similaires, mais ce n’est pas le cas« , observe Maidment. Les ankylosaures plus récents du Crétacé, malgré des dizaines de millions d’années d’évolution supplémentaires, ne présentent jamais d’armure aussi élaborée.

L’étude révèle également que Spicomellus possédait une arme caudale – probablement une massue – plus de 30 millions d’années avant tout autre ankylosaure connu. Bien que l’extrémité de la queue n’ait pas été retrouvée, les vertèbres caudales fossilisées montrent des signes de fusion caractéristiques de la formation d’un « manche« , structure uniquement observée chez les ankylosaures dotés d’une massue caudale.

Cette découverte suggère que les adaptations clés des ankylosaures – armure défensive et armes offensives – étaient déjà pleinement développées dès les premiers représentants du groupe, remettant en question les modèles évolutifs graduels traditionnellement proposés.

Un mystère biomécanique

L’une des énigmes les plus troublantes soulevées par Spicomellus concerne sa locomotion. Contrairement aux autres reptiles où les pointes défensives sont généralement intégrées dans la peau, celles de Spicomellus sont directement fusionnées aux os, notamment aux côtes qui servent habituellement à l’attachement musculaire.

« Cela pose de réelles questions sur la façon dont cet animal bougeait« , s’interroge Maidment. « Normalement, des os comme les côtes sont utilisés pour l’attachement musculaire, mais à cause des pointes, il est difficile de dire où les muscles auraient pu se fixer. Franchement, nous n’avons que très peu d’idée de la façon dont ce dinosaure aurait pu se déplacer. »

Ces découvertes suggèrent une révision complète des théories sur l’évolution de l’armure chez les ankylosaures. Traditionnellement, les paléontologues considéraient cette armure comme une adaptation purement défensive contre les prédateurs. L’extravagance de celle de Spicomellus ouvre de nouvelles perspectives.

« Cette armure élaborée aurait pu évoluer sous la sélection sexuelle pour l’affichage ou le combat entre rivaux« , proposent les chercheurs. Cette hypothèse expliquerait pourquoi les ankylosaures plus récents, confrontés à des prédateurs plus redoutables comme les tyrannosaures, ont paradoxalement développé des armures plus simples et fonctionnelles.

L’Afrique, continent des surprises paléontologiques

Spicomellus détient le titre de premier et unique ankylosaure découvert sur le continent africain, illustrant l’importance cruciale des recherches paléontologiques en Afrique. « Cette découverte montre à quel point les dinosaures d’Afrique sont significatifs, et combien il est important d’améliorer notre compréhension d’entre eux », souligne Maidment.

Il y a 165 millions d’années, la région de Boulemane était une plaine côtière inondable au climat tropical, bien différente du paysage aride actuel des montagnes de l’Atlas. Spicomellus partageait cet écosystème avec le stégosaure Adratiklit et divers sauropodes, offrant un aperçu unique de la diversité des dinosaures herbivores du Gondwana.

« Voir et étudier les fossiles de Spicomellus pour la première fois était palpitant. Nous n’arrivions pas à croire à quel point il était bizarre et différent de tout autre dinosaure, ou même de tout autre animal que nous connaissons vivant ou éteint« , confie le professeur Richard Butler de l’Université de Birmingham, co-auteur de l’étude.

Cette recherche est le fruit d’une collaboration internationale impliquant des institutions britanniques et marocaines. Les fossiles sont désormais conservés et catalogués à la Faculté des Sciences Dhar El Mahraz de Fès, au Maroc.

Spicomellus afer redéfinit notre compréhension de l’évolution des dinosaures blindés et ouvre de nouveaux horizons de recherche. Les questions soulevées par ce « dragon » du Jurassique – sur sa locomotion, sa fonction écologique, et les pressions sélectives ayant façonné son armure spectaculaire – vnot alimenter les recherches futures.

Ce dinosaure « absolument bizarre« , selon les mots de ses découvreurs, prouve une fois de plus que la réalité dépasse souvent la fiction. L’étude « Extreme armour in the world’s oldest ankylosaur » de S.C.R. Maidment et collaborateurs est publiée dans Nature (2025). DOI: 10.1038/s41586-025-09453-6

Masque Africamaat
Kofi Ndale, un nom qui évoque la richesse des traditions africaines. Spécialiste de l'histoire et l'économie de l'Afrique sub-saharienne
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