Sommet de la CEDEAO à Abuja : entre attentes fortes et réponses mesurées face aux crises politiques et sécuritaires


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La 68ᵉ session de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) s’est tenue ce dimanche à Abuja dans un contexte de fortes turbulences politiques et sécuritaires. Retour sur un sommet extraordinaire dont les décisions étaient particulièrement attendues. 

Face aux tentatives de putsch au Bénin, au coup d’État réussi en Guinée-Bissau, et à la récurrente question du terrorisme, les attentes étaient élevées : réaffirmer la défense de l’ordre constitutionnel, renforcer la sécurité collective et impulser de nouvelles orientations vers l’intégration régionale. Si plusieurs engagements marquent un cap politique, un écart notable subsiste entre les attentes populaires et certaines décisions prises.

Un cadre politique assombri par les coups et tentatives de coups d’État

La réunion, prévue au lendemain du coup de force opéré en Guinée-Bissau dans la capitale nigériane, devait se pencher sur l’actualité dramatique de ces dernières semaines en Afrique de l’Ouest. Outre le putsch du 26 novembre en Guinée-Bissau qui a renversé Umaro Sissoco Embalo, la tentative de prise de pouvoir au Bénin le 7 décembre a mis la CEDEAO sous pression quant à sa capacité de réaction collective.

Dans ce contexte, l’un des messages clés du sommet aura été la réaffirmation d’une « tolérance zéro » envers les changements anticonstitutionnels de gouvernement, principe martelé par le président de la Commission, Omar Alieu Touray. Il a rappelé que les coups d’État sont « un pas en arrière pour nos pays » et que la réaction rapide du Nigeria face à la tentative de putsch à Cotonou illustrait cette doctrine.

Décisions clés : fermeté politique, sanctions ciblées et solidarité régionale

Sur le plan politique, la CEDEAO a pris plusieurs décisions marquantes :

  • Rejet du programme de transition militaire en Guinée-Bissau : le sommet a rejeté la feuille de route proposée par la junte et exigé un retour immédiat à l’ordre constitutionnel, avec une transition civile, courte et inclusive, impliquant largement les forces politiques locales.
  • Menace de sanctions ciblées : plutôt que des sanctions générales, l’organisation a opté pour des sanctions ciblées contre les individus entravant le retour à un régime civil, ce qui constitue une posture plus mesurée que certains observateurs ne l’espéraient.
  • Maintien et renforcement des instruments de sécurité : les dirigeants ont salué la réaction rapide de la force en attente de la CEDEAO au Bénin et confirmé l’importance de coordination en matière de sécurité collective face aux menaces transfrontalières.

Ces décisions illustrent une volonté d’affirmer la légitimité démocratique, sans toutefois aller jusqu’à des mesures coercitives massives, notamment militaires ou économiques, pour imposer le retour à l’ordre constitutionnel. L’exemple du Niger et la tournure prise par les événements par la suite ont certainement invité les chefs d’Etats à une attitude plus circonspecte.

Sécurité régionale, « état d’urgence » face au terrorisme et perspectives d’avenir

La lutte contre le terrorisme et l’extrémisme violent est effectivement ressortie comme l’autre pilier du sommet. Les chefs d’État ont unanimement souligné que la sécurité régionale ne peut être assurée par un État seul, appelant à une coopération approfondie en matière de renseignement, de frontières et d’opérations coordonnées.

Le Président en exercice de la conférence, Julius Maada Bio, a insisté sur la nécessité de concilier sécurité, gouvernance, éducation et création d’emplois pour traiter les causes profondes de l’instabilité.

Outre les crises politiques et sécuritaires, les dirigeants ont aussi évoqué des sujets d’intégration économique, en particulier le projet de monnaie unique prévue pour 2027. Ce projet d’« Eco » ou nouvelle devise régionale vise à stimuler le commerce intra-régional et renforcer l’intégration.

D’autres mesures adoptées ou annoncées incluent des actions destinées à réduire le coût du transport aérien à l’intérieur de la CEDEAO et à encourager l’investissement privé dans la sous-région.

Comparaison attentes vs décisions : un bilan nuancé

Avant le sommet, plusieurs attentes émanaient tant des acteurs politiques que de la société civile ouest-africaine :

  • Une réponse ferme et unifiée face aux coups d’État, avec des sanctions significatives contre les juntes militaires.
  • Une feuille de route claire pour le rétablissement rapide de la démocratie en Guinée-Bissau et la prévention d’autres tentatives de putsch.
  • Des mesures concrètes pour combattre efficacement le terrorisme, au-delà des déclarations générales.

Face aux attentes, se dressent des décisions diversement appréciées :

  • La position de principe contre les coups d’État et la menace de sanctions ciblées répondent en partie à ces attentes, mais l’absence d’action punitive immédiate plus forte (par exemple embargo ou suspension complète) peut être perçue comme une réponse prudente plutôt que résolue.Sur ce coup, la CEDEAO a semblé tirer leçon du passé récent.
  • Sur la sécurité collective, l’accent sur la coopération, la force en attente et l’intégration des efforts est une avancée, même si des dispositifs plus opérationnels restent à formaliser.
  • L’insertion de questions économiques et d’intégration monétaire dans l’agenda est saluée comme une vision d’avenir, mais certains critiques soulignent qu’elle ne répond pas aux urgences politiques et sécuritaires du moment.

Au total, le sommet de la CEDEAO à Abuja a réaffirmé des principes forts (tolérance zéro aux coups d’État, solidarité régionale et coopération contre le terrorisme) tout en adoptant des décisions qui oscillent entre fermeté politique et pragmatisme diplomatique. Les mesures décidées répondent partiellement aux attentes : elles offrent un cadre d’action et une feuille de route politique, mais manquent encore de la puissance coercitive que certains observateurs et populations jugeaient nécessaire pour dissuader définitivement les putschistes et stabiliser durablement la sous-région. À l’aube de 2026, le véritable test de ces engagements se jouera dans leur mise en œuvre sur le terrain.

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Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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