
Dans un paysage audiovisuel dominé par les géants américains du streaming, rares sont ceux qui osent s’y aventurer sans appui colossal ni promesse d’audience mondiale. Sèdo Tossou, acteur, réalisateur et désormais entrepreneur, a pourtant décidé d’y inscrire son nom. Avec Sedo+, il veut bâtir une plateforme où la création africaine s’affranchit des formats imposés et retrouve sa liberté. Ni Netflix ni YouTube, Sedo+ revendique l’artisanat là où l’industrie uniformise, et propose une autre façon de produire, de diffuser, et surtout, de rémunérer les créateurs. Rencontre avec un cinéaste qui voit dans le streaming non pas un marché, mais un manifeste : celui d’une indépendance culturelle assumée.
Vous avez porté plusieurs casquettes : acteur, réalisateur, producteur… et désormais entrepreneur du streaming. Qu’est-ce qui vous a poussé à franchir ce cap ?
Je crois que c’est une continuité naturelle. J’ai commencé par raconter des histoires devant la caméra, puis derrière, et aujourd’hui je les rends visibles. Sedo+ n’est pas né d’une envie d’entreprendre, mais d’un besoin de liberté. J’ai vu trop de projets formidables disparaître faute de structure, de financement ou simplement parce qu’ils ne rentraient pas dans les cases. Sedo+, c’est une maison pour tous ces films, séries et talents qui méritent d’exister sans permission.
Quand on découvre Sedo+, on se dit que c’est un pari fou : affronter Netflix, Canal+ ou Amazon avec une plateforme indépendante. Vous aimez les défis impossibles ?
J’aime les défis nécessaires. Le but n’est pas d’affronter Netflix, mais de montrer qu’un modèle alternatif peut exister. Sedo+ n’est pas une copie, c’est une autre logique : produire vrai, local, humain et mondial à la fois. On ne cherche pas à “faire comme” mais à “faire mieux” et surtout plus juste.
Vous dites que “Sedo+ n’est pas une plateforme industrielle”. Qu’est-ce que cela veut dire, concrètement ? Est-ce une manière de critiquer la standardisation des contenus ?
Exactement. L’industrie a tout standardisé : le rythme, le ton, le format, même les émotions. Sedo+ revendique l’artisanat. Chaque œuvre est faite à la main, avec des moyens réels, des visages vrais, des lieux vrais. On veut que les spectateurs sentent la matière, pas la machine. Ce n’est pas une simple critique de l’industrie, c’est une proposition de cinéma plus vivant et représentatif du monde réel.
Vous promettez de mieux rémunérer les créateurs africains que TikTok. Très bien, mais comment ? Quelle est la part réellement reversée aux artistes ?
Sur Sedo+, le partage est clair : 50 % des revenus publicitaires et d’abonnement vont directement aux créateurs. Pas via des algorithmes opaques mais de façon traçable et totalement transparent. Chaque vue compte, chaque minute visionnée est valorisée. C’est notre manière de redonner au mot “plateforme” son vrai sens : un sol sur lequel les artistes peuvent se tenir debout.
Vous avez annoncé que Sedo+ rémunère les créateurs à hauteur de 4 000 F CFA pour 1 000 vues. C’est bien au-delà de ce que proposent les plateformes comme TikTok ou YouTube. Comment parvenez-vous à financer un tel modèle sans mettre en péril la viabilité de Sedo+ ? Et surtout, cette promesse est-elle réellement tenue aujourd’hui ?
Alors ce que j’ai annoncé exactement c’est que GOOGLE avait accordé la monétisation de notre plateforme via leurs annonceurs et que le taux qui nous a été attribué était de “près de 4000 FCFA pour 1000 vues”, c’est ce qui est appelé le eCPM et ça varie selon la période. C’est de cette rémunération que j’offrirai les 50 % aux créateurs qui posteront leur contenu sur notre plateforme. Le financement ne vient donc pas de nous. Sedo+ ne dépense pas un seul franc pour ce modèle, ça vient plutôt de Google et de leurs annonceurs. Nous nous chargeons simplement de le partager équitablement avec les créateurs et c’est en effet une promesse.
Beaucoup de plateformes africaines ont disparu après quelques mois, faute de moyens ou de public. Qu’est-ce qui vous garantit que Sedo+ ne connaîtra pas le même sort ?
Le modèle est différent. Sedo+ est centré autour de Sèdo Tossou de base, donc de mes oeuvres ainsi (et surtout) de ma communauté qui non seulement ne risque pas de disparaître, mais au contraire ne fait qu’augmenter de jour en jour. De la même manière que certains influenceurs ont leur site privé sur lequel on peut payer un abonnement pour voir du contenu exclusif qu’ils produisent, Sedo+ propose cela, mais avec mes séries et films. En ouvrant la plateforme à d’autres créateurs de contenu, on s’assure non seulement le fait qu’il y aura de manière fréquente de nouvelles choses et que ça ne lassera pas le public consommateur mais en plus que le poids du succès de Sedo+ ne reposera plus uniquement sur moi. Il y a eu d’autres plateformes africaines avant moi, mais il n’y aura qu’un seul Sedo+, le modèle est très unique et plus qu’une plateforme africaine c’est une plateforme internationale.
Vos productions comme Alokan ou La Maison Tinwé montrent un ton très libre, parfois en décalage avec le cinéma “classique”. Est-ce un choix artistique ou un manifeste contre les codes établis ?
Un peu des deux. Je me suis toujours exprimé avec un ton très libre et sincère, puis surtout j’ai constamment voulu proposer autre chose que ce qu’on voyait d’habitude SURTOUT dans le paysage africain. Je pense avoir réussi avec ces deux productions et le fait que le succès ait suivi m’encourage à continuer encore dans cette créativité sans bornes.
Le public africain reste confronté à des problèmes d’accès : débit internet, moyens de paiement, coût des abonnements… Est-ce que votre modèle est réellement pensé pour eux ?
Alors il y a des choses que je ne peux pas encore révéler car elles sont en instance et aussi parce que la stratégie derrière reste quelque chose que je veux garder pour moi. Mais je peux dire que le modèle est adapté au public africain, mais il n’est pas pensé “pour” eux, il est pensé pour tout le monde, de l’Américain, au Japonais, au Guinéen… Je tiens encore une fois à faire une plateforme de streaming INTERNATIONALE, mais développée PAR un africain.
On lit que Sedo+ est “la plateforme de la liberté créative”. Mais la liberté, ça coûte cher : comment financez-vous concrètement vos tournages ?
En filmant autrement. On ne court pas après la perfection mais après l’authenticité. Une bonne histoire ne dépend pas d’un budget, elle dépend d’un regard. Nos tournages sont légers, nos équipes agiles, nos acteurs et scénaristes souvent formés en interne. La liberté n’est pas un luxe, c’est une méthode. Pour finir les réseaux sociaux bien utilisés de Sedo+ offrent une visibilité assez unique qui nous permet d’attirer des entreprises prêtes à sponsoriser nos productions.
Vous êtes souvent perçu comme un perfectionniste, voire un contrôle-freak. Est-ce une force ou un frein quand on veut bâtir une entreprise collaborative ?
C’est une force quand on sait lâcher au bon moment. Mon but est que l’équipe que je forme, “les XWEVI de Sèdo N’Nogni”, devienne un organisme vivant. Sedo+, c’est un cadre exigeant mais ouvert. Je veux que chaque collaborateur ait la place d’être brillant, pas obéissant. En attendant, je reste fidèle à moi-même et persuadé que ce que je veux construire ne l’a pas été fait avant, donc je ne peux faire confiance pour la direction de mes entreprises à personne d’autre que moi-même. Les XWEVI deviendront des extensions de moi à un moment et les gens percevront un peu mieux ma vision et mon esprit d’équipe.
Certains disent que vous cherchez à incarner un “Tyler Perry africain”. Est-ce une comparaison que vous assumez, ou une étiquette que vous rejetez ?
Je comprends la comparaison parce que Tyler Perry a bâti un empire créatif indépendant. Mais mon modèle, c’est moins l’imitation que la construction d’une voie nouvelle. Je ne veux pas être le Tyler Perry africain, je veux être le premier Sèdo Tossou et c’est tout. Puis je souhaite que d’autres deviennent à leur tour les premiers d’eux-mêmes. De plus, je ne suis vraiment pas fan du travail de ce Monsieur, sans trop rentrer dans les détails pour ne pas m’attirer plus de foudres que j’en reçois déjà.
Vous êtes à la fois le visage, le moteur et la voix de Sedo+. Si demain, vous disparaissiez du projet, Sedo+ survivrait-il ?
Si je disparais demain, Sedo+ ne survivra pas, non. Mais si je disparais dans disons 5 ans, alors oui, car encore une fois j’aurais eu assez de temps pour préparer une génération de cinéastes maîtrisant ma méthode et ayant pu la pratiquer par eux-mêmes pendant assez de temps. Sans compter le public qui transportera toujours mon message je l’espère et enfin tous les créateurs/créatrices qui rejoindront la plateforme, l’objectif est que ça finisse par devenir LEUR plateforme également même si ça n’a pas été créé dans ce sens au début. Je suis la force du vent.
Enfin, si vous pouviez faire passer un message à ceux qui doutent encore de la capacité d’un Africain à créer une plateforme mondiale, que leur répondriez-vous ?
Je leur dirais : arrêtez de douter, commencez à construire. Le monde ne nous attend pas, il avance. Et la seule manière d’exister, c’est de créer nos propres espaces. Sedo+, c’est la preuve que c’est possible. Pas demain. Maintenant.