
Une mini-tournée itinérante de quatre jours rapproche le patrimoine cinématographique africain des populations locales, de Douala à Kribi, en passant par Dibombari.
La Cinémathèque Afrique de l’Institut français a lancé ce mardi une mini-tournée camerounaise baptisée « Voyage au cœur du patrimoine cinématographique africain », organisée en partenariat avec le Cinéma Numérique Ambulant (CNA). Pendant quatre jours, des projections en plein air, des conférences et des ateliers itinérants relieront Douala, Dibombari et Kribi pour rapprocher le grand public d’un trésor méconnu : quelque 1 800 films africains conservés par la Cinémathèque Afrique, dont plusieurs joyaux camerounais.
La Cinémathèque Afrique : gardienne de la mémoire du 7ᵉ art africain
Créée en 1961 sous l’impulsion du cinéaste et ethnologue Jean Rouch et de Jean-René Debrix, directeur adjoint de l’IDHEC (aujourd’hui La Fémis), la Cinémathèque Afrique abrite aujourd’hui l’une des plus vastes collections de films du continent. Son fonds comprend 1 800 titres issus de 45 pays, couvrant fictions, documentaires, animations et séries, sur supports allant du 35 mm au DCP numérique.
Depuis son intégration à l’Institut français en 2011, l’institution s’est modernisée : restauration numérique, diffusion via la plateforme IFcinéma et programmes innovants tels qu’« Archives vivantes », qui invite des artistes contemporains à réinterpréter les classiques du fonds. Cette tournée camerounaise prolonge cette stratégie d’ouverture : aller vers les publics plutôt que d’attendre qu’ils viennent aux archives.
Le cinéma camerounais en plein réveil
Longtemps freiné par le manque d’infrastructures — le pays ne compte que deux complexes modernes CanalOlympia, à Douala et Yaoundé —, le cinéma camerounais connaît un puissant regain de visibilité. Au festival Écrans Noirs 2024, « Half Heaven » d’Enah Johnscott a raflé cinq prix, dont le prestigieux Prix du jury international, avant d’être sélectionné pour le FESPACO 2025. Dans le même temps, des œuvres comme « The Planter’s Plantation », « Minga et la cuillère cassée » ou « The Fisherman’s Diary » ont intégré les catalogues Netflix et Amazon Prime, démontrant l’appétit mondial pour des histoires locales authentiques.
Mais l’accès reste inégal : hors des grandes villes, rares sont les habitants qui voient un film sur grand écran. C’est là que le CNA, réseau de cinémas mobiles présent dans huit pays africains, joue un rôle essentiel. Sa devise — « Le cinéma pour tous, le cinéma partout » — se concrétise par des projections alimentées par panneaux solaires, souvent suivies de débats citoyens enrichissants.
Une programmation riche et diversifiée
- Projections en plein air : de « La vie est belle » de Mwezé Ngangura à « Le Ballon d’or » de Cheik Doukouré, en passant par quatre courts et longs métrages camerounais, dont « Angles » de Frank Thierry Lea Malle et « Walls » de Narcisse Wandji.
- Conférences et ateliers : analyse des récits filmés, initiation au langage cinématographique et sensibilisation à la conservation des archives patrimoniales.
- Rencontres professionnelles : échanges entre réalisateurs locaux, programmateurs et représentants de la Cinémathèque Afrique pour favoriser la circulation des œuvres camerounaises dans le réseau culturel français international.
Un miroir pour l’Afrique
Selon l’étude UNESCO 2021, l’industrie cinématographique africaine emploie actuellement environ 5 millions de personnes et génère 5 milliards USD de revenus annuels, mais pourrait créer plus de 20 millions d’emplois et contribuer à hauteur de 20 milliards de dollars au PIB combiné du continent si les obstacles d’infrastructure et de financement étaient levés. Dans cette perspective, la Cinémathèque Afrique se positionne comme un maillon essentiel : elle préserve la mémoire (archives), assure la transmission (formations, tournées), et ouvre des fenêtres de diffusion hors des circuits commerciaux traditionnels.
À l’issue de la tournée, la Cinémathèque Afrique et le CNA comptent capitaliser sur l’élan créé : mise à disposition de kits de projection pour les associations de quartier, formation de médiateurs culturels locaux et circulation élargie des films camerounais dans d’autres pays du réseau francophone. L’objectif est ambitieux : faire en sorte que l’éclairage lancé cette semaine ne s’éteigne pas le 13 juin, mais continue de projeter le cinéma camerounais et africain sur les écrans — fixes ou ambulants — du continent et au-delà.