Sandra Nkaké : « Manger la vie en love dièse ! »


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Sandra Nkaké
Sandra Nkaké

Nous avons découvert Sandra Nkaké lors d’un concert de Cheick Tidiane Seck au New Morning (salle parisienne de jazz) il y a quelques mois. Elle était guest star du claviériste malien, aux côtés d’autres artistes, dont… le grand Manu Dibango. Sandra, dont le premier album,Mansaadi (Corner Shop/Distr. Naïve), sorti en 2008, a été acclamé par la critique, effectue au printemps une tournée qui la mènera dans plusieurs villes de France. Sandra vit à Paris, près des quais de la Seine et de l’eau, symbole de sérénité, qui est exactement ce que la musique de l’artiste dégage.

Son album, Mansaadi, sonne comme quelque chose de totalement inouï, au sens littéral: une musique que l’on n’a jamais entendue, un genre tout à fait inclassable. Car Sandra s’est forgée un style très personnel, mêlant en toute liberté soul, jazz, Rn’B, chanson française (en reprenant par exemple un titre de Brassens), ou encore… cris d’oiseaux imités, tels qu’on les trouve dans la musique pygmée ou bantoue, et qu’on retrouvera au Brésil. L’atmosphère qui se dégage du disque est de douceur et de sérénité, de simplicité aussi, et en même temps d’une gaieté, mais d’une gaieté profonde et enracinée. Et la photo qui illustre l’album, visage radieux de l’artiste comme dans un mouvement de danse, en simple t-shirt blanc, est l’illustration visuelle de l’univers de Sandra Nkaké: une musique qui respire le bonheur, dans la simplicité et l’essentialité. Comme un mariage entre l’esprit zen et la gaieté africaine. Dans le livret, on trouve un poème de Sandra, avec cette formule : « Manger la vie en love dièse ! »… Rencontre.

Afrik.com : Vous expliquez que la disparition de votre mère a été le “déclic” pour produire votre premier album : Mansaadi veut dire “petite mère”, et cet album lui est dédié…

Sandra Nkake : Oui. La disparition de ma mère, que j’adorais, m’a en quelque sorte sauvé la vie. Ca a changé beaucoup de choses. On avait un lien très fort, et je l’ai toujours admirée. Je pensais que je n’aurais jamais sa beauté ou son érudition. Mais j’ai compris aussi qu’elle était écorchée, qu’elle était malheureuse. Or on se doit d’aller vers la lumière. Et c’est au moment où elle est morte que j’ai compris que je pouvais être moi-même, différente. Un peu comme si je m’étais longtemps empêchée d’être heureuse, à cause de ce “modèle” implicite. A sa mort, j’ai compris que ce n’est pas elle qui m’empêchait d’être heureuse: c’est moi qui me l’interdisais.

Afrik.com : Comment est né votre désir de chanter ?

Sandra Nkake : Je chante depuis que je suis toute petite. Je chantais tout le temps ! Mais je n’ai jamais pensé que j’allais en faire mon métier. J’ai fait des études d’anglais, un DEUG, dans l’esprit de devenir prof. Mais avec une copine, on chantait dans les couloirs de la fac… Un jour, j’ai passé une audition, où il fallait chanter du jazz et du funk. A l’époque, j’écoutais plutôt de la folk. J’ai passé l’audition. Et c’est parti comme ça. Aujourd’hui, c’est sur scène que je me sens bien ! En fait, il y a une part de lumière que je m’interdisais: comment être heureuse, si ma mère ne l’était pas? J’ai eu la chance d’être entourée de musiciens qui m’ont aidée à comprendre comment on fait pour être soi. Et qu’on pouvait passer toute une vie à essayer d’entrer dans une case, alors qu’autour de cette case, il y a un espace infini…

Afrik.com : Dans votre album, vous chantez le plus souvent en anglais : parce que c’est la langue de la soul et du jazz, dont vous êtes le plus proche ?

Sandra Nkake : À la maison, l’anglais était la langue de l’émotion. Ma mère était bilingue, et elle s’exprimait en anglais pour les choses qui étaient dans son coeur. Quand j’ai envie d’aborder certaines choses, qui sont en moi, pour moi c’est difficile en français.

Afrik.com : Vous faites une reprise – très personnelle – de “La mauvaise réputation” de Brassens: ce vécu, d’être un peu marginal, n’est-il pas le vécu de tous les artistes?

Sandra Nkake : C’est aussi le vécu d’une petite fille qui a vécu entre deux pays: quand j’étais à Yaoundé, j’étais un petite blanche; et en France, j’étais un singe tombé de l’arbre… Cette chanson, c’est aussi la résonance d’un homme que j’aime beaucoup: j’aime beaucoup son écriture, et c’est important pour moi de lui rendre hommage. Je l’ai beaucoup écouté, et je me reconnais beaucoup dans son style intérieur: un grincement, mais humaniste. Il était exigeant.

Afrik.com : Vous mettez aussi en musique – à peine – “Souffles”, le célèbre poème de Birago Diop…

Sandra Nkake : C’est mon rapport à mon grand-père qui m’a en partie élevée. Il adorait ce texte. Il l’a transmis à ma mère. Et avant que je parte enterrer ma mère, une amie m’a demandé de lire ce texte…

Afrik.com : Comment avez-vous préparé votre premier album ?

Sandra Nkake : Ça m’a pris deux ans et demi. J’ai travaillé les chansons sur scène, avant l’album. Parce qu’il fallait trouver l’interprétation juste. Et le meilleur endroit pour tester si c’est une émotion juste, c’est de chanter sur scène. Donc j’ai fait beaucoup de scènes, avant l’album. Il n’y avait pas d’urgence pour l’enregistrement de l’album. Mais quand le public a commencé à venir de plus en plus nombreux, il voulait repartir avec quelque chose après le concert. Et ce qui m’a motivée pour l’enregistrement, ce sont des personnes qui me suivent sur scène. Par exemple Manu Dibango: avant de pouvoir faire son premier album, il fallait qu’il fasse des milliards de scènes ! Mais aujourd’hui, beaucoup d’artistes font leur premier album, et fond de la scène ensuite. Or il faut une maturité vocale, et une autonomie.

Les dates de concerts sur le site de Sandra Nkake

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