Réforme de l’ONU : l’Afrique francophone réclame sa place au Conseil de sécurité


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Lors de la semaine de haut niveau de l’Assemblée générale des Nations Unies à New York, les chefs d’État et de gouvernement d’Afrique francophone ont unanimement réclamé une refonte complète de l’organisation mondiale, 80 ans après sa création. Entre appels à la réforme du Conseil de sécurité, demandes de financement accru et dénonciation des « deux poids, deux mesures », le continent africain exige enfin d’avoir voix au chapitre dans les instances internationales.

Durant la semaine de haut niveau à New York, l’Afrique francophone, à travers les interventions des chefs d’État et de gouvernement, a tenu chacun à sa façon à lancer un appel à un changement de visage de l’ONU, 80 ans après sa création. il en va selon eux de la crédibilité de l’institution auprès d’un continent à la fois en crise et riche en promesses de croissance.

Le bloc africain francophone a interpellé l’Organisation sur ses lacunes. Le président tchadien Mahamat Déby a fustigé une structure « figée, héritée de l’après-guerre où l’Afrique, berceau d’un cinquième de l’humanité, demeure exclue de toute représentation permanente ». Pour Azali Assoumani, président des Comores et ancien président de l’Union africaine, il est temps que « la voix du continent » pèse davantage dans les instances internationales. Cela permettrait, selon le président du Sénégal Bassirou Diomaye Faye, de mettre fin à la logique de « deux poids, deux mesures, la loi du plus fort et de l’esprit partisan » qui sapent aujourd’hui la légitimité de l’ONU aux yeux du continent africain.

Un Conseil de sécurité obsolète et non représentatif de l’Afrique

Tous ces discours accusateurs mettent sur le banc des accusés le Conseil de sécurité, un organe chargé du maintien de la paix composé de cinq membres permanents dont aucun n’est un pays africain, alors que la plupart des conflits actuels se concentrent sur le continent. Le président de la République du Congo Denis Sassou-Nguesso a constaté que la composition actuelle du Conseil « ne reflète plus les équilibres géopolitiques ». Il a donc, dans son allocution, jugé urgent de le rendre « plus représentatif, plus transparent et plus proche des réalités de notre monde ».

Mahamat Déby, sur ce sujet, a appelé à la création de deux sièges permanents pour l’Afrique, assortis du droit de veto, proposition qui a eu le soutien du chef de l’État de la République démocratique du Congo (RDC) Félix Tshisekedi avec, pour lui, un ajout de deux membres africains non-permanents. Il a poursuivi en proposant qu’avant tout, il faudrait mettre un terme à l’inaction du Conseil face aux dossiers inscrits à son ordre du jour. Selon le chef d’État de la RDC, l’organe miné par ses divisions est désormais incapable de « protéger ceux qui souffrent le plus », à commencer par les victimes du « génocide silencieux » en cours dans l’est de la RDC.

Au-delà de ces institutions, l’action sur le terrain a été également largement mise en cause. Si les casques bleus continuent d’incarner l’idéal de l’ONU, leur bilan est sévèrement jugé par les dirigeants francophones. Mahamat Déby ira jusqu’à dénoncer des opérations « parfois complices de violations », exigeant une réforme « en profondeur » recentrée sur la protection des civils. Le ministre des Affaires étrangères du Rwanda, Olivier Nduhungirehe, a plaidé pour un financement durable du Fonds pour la paix de l’Union africaine face au manque de moyens des missions onusiennes, dont la majorité sont déployées en Afrique.

Il a également rappelé que, pour la première fois, le Conseil avait accepté de couvrir les trois quarts du coût des opérations de l’Union africaine face aux déploiements de soldats de la paix rwandais en République centrafricaine (RCA) et au Mozambique.

Le chef d’État centrafricain Faustin-Archange Touadéra, alors que son pays vit une nouvelle vague de violence à quelques mois des élections générales, a proposé d’aller plus loin en créant un Fonds mondial de prévention des conflits, pour intervenir avant l’éclatement des crises.

Financement du développement : l’urgence d’une réforme économique

Dans tous les discours des leaders francophones, la question du financement a été évoquée : sans argent, pas de développement, pas de stabilité et surtout pas de paix. Andry Rajoelina, le président de Madagascar qui vient de dissoudre son gouvernement à cause des manifestations en cours dans son pays, s’est inquiété du sort de l’African Growth and Opportunity Act (AGOA), un programme d’accès préférentiel au marché américain qui arrive à expiration au 30 septembre et dont dépendent des centaines de milliers de travailleurs africains. « Derrière chaque emploi, il y a une mère qui nourrit ses enfants », a-t-il plaidé en évoquant 358 000 postes menacés dans la région en cas de non-renouvellement dudit programme.

Le Premier ministre marocain Aziz Akhannouch a fait appel à une réforme de l’architecture financière internationale et à l’éclosion de nouveaux mécanismes face à l’endettement qui étrangle les pays africains. Le Tchad a tenu une fois de plus à rappeler le décalage qui existe entre les discours et les chiffres, à l’image du déficit vertigineux de 4 000 milliards de dollars annuels dans le financement des objectifs de développement durable supposés arriver à échéance dans cinq ans.

Les crises régionales omniprésentes

Concernant les crises régionales omniprésentes dans ce bloc africain, les chefs d’État ont tenu à rappeler que s’il est vrai que la menace terroriste au Sahel illustre la fragilité des équilibres régionaux, d’autres pays cherchent à restaurer leur stabilité par les urnes, comme l’a clamé le président du Gabon Brice Oligui Nguema en ces termes : « Le Gabon, mon pays, a changé ! », listant les échéances électorales qui doivent ramener le pays à l’ordre constitutionnel d’ici janvier 2026. Tandis que d’autres, comme le Tchad, ont plaidé pour un soutien accru face à une crise humanitaire qui dépasse les capacités de certains pays comme le sien, qui accueille près de deux millions de réfugiés en provenance du Soudan depuis 2023.

À l’heure où les fractures Nord-Sud se creusent, les dirigeants africains n’ont pas seulement mis en lumière les lacunes de l’ONU, ils ont aussi déroulé des agendas – réforme institutionnelle, financement pérenne, prévention des conflits, justice climatique et ouverture économique – qui, selon eux, devraient être suivis de près. Ils ont également rappelé au monde que sans leur continent, l’ONU risquerait de perdre non seulement sa légitimité, mais aussi son âme.

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Franck Biyidi est diplômé de l'IRIC (Institut des Relations Internationales du Cameroun) je suis spécialiste des relations internationales au sein de la Francophonie et de l'Union Africaine et de tout ce qui touche la diplomatie en Afrique francophone
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