L’Algérie lance son premier sukuk souverain en novembre 2025 réservé aux Algériens


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Algérie Finance islamique
Algérie Finance islamique

L’Algérie s’apprête à lancer début novembre son premier sukuk souverain, d’une valeur de 296,65 milliards de dinars (environ 2,3 milliards de dollars). Cette émission s’inscrit dans la stratégie de diversification des sources de financement du pays et marque son entrée dans l’univers de la finance islamique internationale.

Le ministère des Finances algérien a officialisé le lancement de cette opération inédite qui débutera le 2 novembre 2025 et s’étendra sur une période de deux mois. Cette émission, structurée selon le modèle de l’ijara (location), repose sur un portefeuille d’actifs immobiliers appartenant à l’État, évalués et certifiés par la Caisse nationale pour le développement.

L’instrument financier proposé offre un rendement annuel fixe de 6% sur une durée de sept ans, un taux particulièrement attractif dans le contexte économique actuel du pays où l’inflation se situe autour de 4%. Les investisseurs récupéreront l’intégralité de leur capital et le dernier versement d’intérêts à l’échéance.

Un dispositif pensé pour les Algériens

La souscription est exclusivement réservée aux citoyens algériens, qu’ils résident à l’intérieur ou à l’extérieur du pays, ainsi qu’aux personnes morales de droit algérien. Cette décision d’exclure les investisseurs étrangers reflète une volonté claire : mobiliser l’épargne nationale, en particulier les fonds circulant dans l’économie informelle, estimés à près de 10 000 milliards de dinars.

Les points de souscription seront largement accessibles à travers le réseau bancaire, les agences d’Algérie Poste, les succursales de la Banque d’Algérie, les trésoreries publiques et les compagnies d’assurance. Un dispositif qui témoigne de la volonté des autorités de maximiser la participation populaire.

Des avantages fiscaux substantiels

Pour encourager l’investissement, le gouvernement a mis en place un cadre fiscal attractif. Les revenus générés par ces sukuk sont totalement exonérés d’impôts, conformément à la loi de finances 2025. Cette exonération s’applique à l’impôt sur le revenu global (IRG) et à l’impôt sur les bénéfices des sociétés (IBS) pour une durée de cinq ans, ainsi qu’aux droits d’enregistrement et de publicité foncière pendant toute la maturité des titres.

De plus, les sukuk pourront être librement négociés, achetés, cédés ou même utilisés comme garantie pour obtenir un financement. Après trois ans, les porteurs auront la possibilité de demander un rachat anticipé par le Trésor public à la valeur de marché.

Une dynamique régionale encourageante

L’Algérie rejoint ainsi d’autres pays de la région qui ont déjà emprunté cette voie. L’Arabie saoudite, le Maroc et l’Égypte utilisent depuis plusieurs années les sukuk souverains pour diversifier leurs sources de financement. Le marché mondial des sukuk dépasse aujourd’hui 800 milliards de dollars, dominé par les pays du Golfe et la Malaisie.

La finance islamique connaît d’ailleurs une croissance soutenue en Algérie. Selon la Banque d’Algérie, les dépôts bancaires islamiques ont progressé de plus de 14% entre 2022 et 2023, passant de 4 à 4,7 milliards de dollars, avec douze établissements agréés dans le pays.

La préparation de cette émission a bénéficié du soutien technique de la Banque islamique de développement, qui finance un projet d’accompagnement du gouvernement algérien dans la mise en place du cadre législatif et réglementaire nécessaire. Un appel d’offres international a été lancé pour sélectionner un cabinet de conseil spécialisé qui accompagnera le processus jusqu’à l’émission du premier titre.

Yazid Benmouhoub, directeur général de la Société de gestion de la Bourse des valeurs, a confirmé que la Bourse d’Alger est prête à accueillir ce nouveau marché, dans l’attente de l’amendement du Code de commerce qui permettra également d’ouvrir un marché de sukuk destiné au financement des entreprises privées.

Une vision stratégique pour l’avenir

Au-delà de l’aspect financier immédiat, cette initiative s’inscrit dans une vision plus large de transformation économique. Selon Sofiane Mazari, président de la commission de la finance islamique au sein de l’Association des banques et établissements financiers, cette autorisation d’émettre des sukuk souverains « représente une étape cruciale pour soutenir les grands projets nationaux à travers des mécanismes innovants« .

Les experts algériens entrevoient un potentiel considérable. Avec un marché mondial des actifs bancaires islamiques évalué à 3 700 milliards de dollars début 2024, l’Algérie pourrait voir sa part dans la finance islamique passer de 0,2% (environ 6 milliards de dollars) actuellement à 1% (50 milliards de dollars) à court terme, et potentiellement 2% à moyen terme.

L’objectif est ambitieux : positionner l’Algérie comme un hub régional pour l’émission de sukuk au sein des zones de libre-échange africaines, arabes et européennes. Si le pays parvient à capter 5% du marché total des émissions de sukuk dans les régions actives de la finance islamique, cela représenterait environ 40 milliards de dollars dans les années à venir.

L’émission de ce premier sukuk souverain algérien symbolise l’ouverture du pays à de nouveaux instruments de financement, la volonté de réduire la dépendance au secteur des hydrocarbures, et l’ambition de mobiliser l’épargne nationale au service du développement. Ainsi, le succès de cette première émission sera scruté de près, tant en Algérie que dans la région, comme un indicateur de la maturité des marchés financiers algériens et de la confiance des épargnants dans les instruments conformes à la charia.

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Ali Attar est un spécialiste reconnu de l'actualité du Maghreb. Ses analyses politiques, sa connaissance des réseaux, en font une référence de l'actualité de la région.
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