
Une lettre ouverte au vitriol. Moïse Katumbi, homme politique influent et président du club congolais Tout Puissant Mazembe, a vertement critiqué le projet du gouvernement de la République Démocratique du Congo de sponsoriser plusieurs clubs de football européens pour un montant estimé à 43 millions de dollars. Un projet jugé « absurde » et « moralement inacceptable » dans un pays où la majorité de la population vit dans une extrême précarité.
Dans une correspondance adressée directement au Président Félix Tshisekedi et rendue publique ce mercredi, l’ancien gouverneur du Katanga n’a pas mâché ses mots. Selon lui, alors que plus de 7 millions de Congolais sont déplacés internes et 25 millions souffrent de malnutrition chronique, cette opération relève d’un « mépris de la réalité sociale » et illustre une politique « centrée sur le paraître international au lieu du bien-être des citoyens ». Pour Moïse Katumbi, « l’urgence en RDC est humanitaire, pas médiatique ». L’homme dénonce une fuite en avant du pouvoir exécutif dans la quête de visibilité internationale au détriment des besoins de base.
Un contraste choquant : des millions pour l’Europe, la misère pour le foot local
Katumbi, lui-même figure du sport et président du club multiple champion d’Afrique, TP Mazembe, souligne le paradoxe criant d’une telle dépense extérieure alors que le championnat national congolais est à l’arrêt, faute de financements estimés à seulement 600 000 dollars. Il évoque des clubs comme Sanga Balende, en proie à des difficultés logistiques de base, incapables de déplacer leurs joueurs pour les compétitions. « Le talent congolais brille à l’étranger, mais chez nous, on ne trouve même pas de quoi financer une saison complète », déplore-t-il, dénonçant un « complexe d’infériorité érigé en politique d’État ».
Cette critique soulève une problématique plus large : la désaffection des autorités congolaises pour le sport local, alors même que celui-ci pourrait jouer un rôle structurant dans l’éducation, la cohésion sociale et le développement économique. Pour Moïse Katumbi, cette politique de sponsoring est non seulement opaque mais aussi non budgétisée, ce qui soulève des doutes sur sa légalité et sur les circuits de financement mobilisés.
Un appel à la conscience du Président Tshisekedi
Dans un pays où près de 70% de la population vit sous le seuil de pauvreté, les arbitrages financiers du gouvernement sont de plus en plus scrutés. Alors que le secteur de la santé reste sous-financé, que des enseignants sont régulièrement en grève pour salaires impayés et que de nombreuses routes restent impraticables, l’allocation de dizaines de millions de dollars à des clubs de football étrangers est perçue par une partie de la population comme une provocation. Moïse Katumbi évoque avec force une image marquante : « Un père digne de ce nom peut-il nourrir les enfants des autres, pendant que les siens ont le ventre vide ? »
S’exprimant à la fois comme dirigeant sportif et homme politique, Moïse Katumbi appelle Félix Tshisekedi à reconsidérer cette démarche qu’il qualifie d’« offense aux attentes du peuple ». Il demande que les ressources publiques soient réorientées vers les priorités fondamentales : santé, éducation, sécurité alimentaire, infrastructures. « Chaque franc dilapidé à l’étranger est un plat vide pour un enfant, une route non réparée, un enseignant non payé », résume-t-il dans un plaidoyer à forte tonalité morale.
Une affaire qui interpelle l’opinion publique
Depuis la révélation de ce projet de sponsoring, plusieurs voix de la société civile se sont jointes aux critiques. Des journalistes sportifs, économistes et responsables d’ONG dénoncent une opération jugée inopportune, dispendieuse et peu transparente. Aucun détail officiel n’a pour l’heure été communiqué sur les bénéficiaires précis de ce sponsoring, ni sur les contreparties attendues.
En juin 2025, un précédent partenariat avec l’AS Monaco (4,8 M€ sur trois ans) avait déjà suscité une mobilisation généralisée et une forte désapprobation publique, qualifiée d’« insulte à la souffrance du peuple ». Des organisations citoyennes, journalistes et militants locaux avaient dénoncé un investissement jugé absurde face à l’effondrement des infrastructures, appelant à réorienter les financements vers des priorités nationales (routes, écoles, santé).
Les autorités congolaises, pour leur part, défendent une stratégie de soft power pour promouvoir le tourisme national. Ce choix s’inscrit dans une posture géopolitique, à l’instar du Rwanda qui a déjà sponsorisé des clubs prestigieux (Arsenal, PSG), dans une logique de sportswashing
De toutes façons, l’affaire pourrait prendre une tournure plus politique dans les semaines à venir, devenant un symbole des priorités contestées du pouvoir en place.