RDC, maintien des filles enceintes à l’école : bras de fer entre l’État et les écoles catholiques


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Raïssa Malu, ministre congolaise de l'Education nationale et de la Nouvelle Citoyenneté
Raïssa Malu, ministre congolaise de l'Education nationale et de la Nouvelle Citoyenneté

Une nouvelle ligne de fracture vient de se creuser dans le paysage éducatif congolais. Alors que le gouvernement a annoncé le maintien sans condition des filles enceintes dans tous les établissements scolaires du pays, les écoles conventionnées catholiques (Eccath) refusent d’appliquer cette directive, invoquant leurs principes éthiques et les accords qui les lient à l’État congolais.

La décision de la ministre congolaise de l’Éducation de la RDC d’interdire l’exclusion des filles enceintes des écoles ne fait pas que des heureux. Du côté des écoles catholiques, cette décision n’est pas bien accueillie.

Une directive gouvernementale pour l’égalité des chances

Tout est parti d’une circulaire signée le 14 juillet par la ministre de l’Éducation nationale et de la Nouvelle Citoyenneté, Raïssa Malu. Le texte ordonne à l’ensemble des établissements scolaires – publics, privés agréés ou conventionnés – d’assurer le droit à l’éducation des filles enceintes, sans discrimination ni sanction. Cette mesure, selon la ministre, s’inscrit dans une volonté de promouvoir une éducation inclusive, fondée sur l’égalité des genres, et de lutter contre les exclusions scolaires injustifiées.

Le Secrétaire général du ministère l’Éducation nationale par intérim, Alexis Yoka La Pulinangu, a aussitôt relayé la directive, appelant à son application immédiate et uniforme sur tout le territoire.

Levée de boucliers des écoles catholiques

Mais à peine la décision gouvernementale rendue publique, la Coordination nationale des Écoles conventionnées catholiques (Eccath) a annoncé qu’elle ne s’estimait pas concernée. Dans une correspondance datée du 15 juillet et adressée à ses relais provinciaux, l’abbé Emmanuel Bashiki, coordonnateur national de l’Eccath, affirme que la circulaire ministérielle ne s’applique pas aux établissements catholiques.

S’appuyant sur l’accord-cadre entre l’Église catholique et l’État, notamment l’article 17 sur l’éducation, l’abbé Bashiki souligne que les écoles catholiques ont le droit et le devoir de préserver un cadre éducatif fondé sur la moralité chrétienne. Il rappelle que l’article 5 de la convention entre les deux parties insiste sur le respect de l’éthique et de la discipline morale.

« L’orientation de ces jeunes filles vers d’autres établissements qui appliquent la circulaire du gouvernement est la seule option compatible avec notre mission éducative chrétienne », a-t-il précisé. En outre, il relève que la circulaire gouvernementale n’a pas été formellement adressée à la coordination nationale catholique, ce qui, selon lui, traduit une reconnaissance tacite de leur autonomie.

L’ANAPECO soutient fermement la décision ministérielle

Comme dans une réaction à la position de l’Eccath, l’Association nationale des parents d’élèves et étudiants du Congo (ANAPECO) a exprimé son plein soutien à la mesure gouvernementale. Pour Steve Diatezwa, président de l’organisation, il est impératif de garantir l’accès à l’éducation pour toutes les filles, y compris celles confrontées à une grossesse précoce.

« Les filles ne tombent pas enceintes toutes seules. Pourquoi les sanctionner elles, alors que les garçons, eux, continuent leur scolarité comme si de rien n’était ? », s’est-il indigné, comme des décennies plus tôt, un certain Thomas Sankara. Il a également mis en garde contre les conséquences sociales d’une exclusion scolaire des filles enceintes, évoquant le risque de marginalisation et de précarité accrue.

Un débat sensible entre morale religieuse et droit à l’éducation

Ce désaccord met en lumière les tensions persistantes entre l’État congolais et certaines confessions religieuses dans la gestion du système éducatif. Les écoles catholiques, qui accueillent une proportion significative des élèves du pays, bénéficient d’un statut particulier reconnu par la loi et par une série d’accords bilatéraux avec l’État. Mais ce statut doit-il primer sur les politiques publiques en matière de droits fondamentaux ? La société civile et les organisations de défense des droits des femmes s’inquiètent du précédent que pourrait créer cette exception. Pour elles, permettre l’exclusion des filles enceintes, même dans un cadre religieux, revient à institutionnaliser une discrimination.

Le gouvernement congolais, engagé dans une politique d’égalité et d’inclusion scolaire, devra trancher avec prudence entre respect des engagements religieux historiques et impératifs de justice sociale. Car au-delà de la controverse juridique, c’est le destin de milliers de jeunes filles congolaises qui est en jeu. La question reste entière : jusqu’où ira l’État pour imposer l’universalité de ses décisions dans un système éducatif largement délégué aux confessions religieuses ? Et l’Église catholique, gardienne de principes moraux, acceptera-t-elle de faire évoluer sa doctrine face à une société en mutation ?

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Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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