Thomas Sankara : précurseur de l’écologie et du développement durable


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Thomas Sankara
Thomas Sankara

Quarante ans avant que l’écologie ne s’impose dans les agendas politiques mondiaux, un jeune capitaine burkinabè révolutionnait déjà la pensée environnementale africaine. Thomas Sankara, président du Burkina Faso de 1983 à 1987, incarnait une vision précurseure qui reliait indépendance politique, justice sociale et régénération écologique dans un projet de société d’une modernité saisissante.

Lorsque Thomas Sankara prend le pouvoir en août 1983, le vocabulaire écologique demeure confiné aux cercles scientifiques occidentaux. Pourtant, ce leader de 33 ans perçoit déjà dans la préservation environnementale la clé d’une véritable émancipation. Pour lui, l’indépendance politique ne peut se concevoir sans « l’équilibre et l’harmonie entre l’individu, la société et la nature ». Cette approche transforme la lutte contre la désertification, fléau majeur du Sahel, en enjeu de souveraineté nationale. Sankara comprend intuitivement qu’un pays qui détruit ses sols hypothèque son avenir et sa liberté.

Dix millions d’arbres et une révolution culturelle verte

En octobre 1984, moins d’un an après son arrivée au pouvoir, Sankara lance une campagne de reforestation d’une ampleur inédite. Villages, écoles, casernes, administrations : tout le pays se mobilise dans un élan collectif qui aboutira à la plantation de près de dix millions d’arbres en quinze mois, certains bilans évoquant même 10,5 millions de plants mis en terre.

Au-delà des chiffres impressionnants, cette initiative révèle le génie politique de Sankara : transformer un impératif écologique en culture populaire. Désormais, chaque mariage, inauguration ou anniversaire doit s’accompagner de la plantation d’un arbre. Cette « sylviculture citoyenne » survit encore aujourd’hui à l’assassinat de son initiateur et inspire directement le projet panafricain de la Grande Muraille Verte.

Les « Trois Luttes » : une gouvernance environnementale pionnière

Sankara comprend que la sensibilisation ne suffit pas sans un cadre réglementaire adapté. Il fait adopter des textes révolutionnaires pour l’époque, regroupés sous l’appellation des « Trois Luttes ». L’interdiction des feux de brousse, considérés désormais comme un crime environnemental, la fin du pâturage errant qui dévaste les jeunes pousses, et l’encadrement strict de la coupe de bois accompagné de l’incrimination du braconnage constituent les piliers de cette politique. Ces mesures anticipent remarquablement les principes modernes de gouvernance environnementale en privilégiant la transformation des pratiques plutôt que leur simple vernis écologique.

« Celui qui te nourrit te domine », martèle Sankara pour justifier son refus de la dépendance alimentaire. Cette conviction se traduit par une réforme agraire donnant aux paysans un accès prioritaire à la terre, l’introduction de techniques agroécologiques privilégiant le compostage, la lutte biologique et la couverture végétale au détriment des intrants importés, et des campagnes massives de formation rurale accompagnées de l’autonomisation des femmes agricultrices. Cette stratégie porte rapidement ses fruits : en 1986, pour la première fois de son histoire, le Burkina Faso dégagera un excédent céréalier exportable.

L’exemplarité de Sankara s’étend jusqu’à son mode de vie personnel et celui de son administration. Les luxueuses Mercedes ministérielles cèdent la place à de modestes Renault 5, le président refuse la climatisation dans son bureau et plafonne son propre salaire à 450 dollars mensuels. Cette pédagogie de la sobriété préfigure avec une troublante actualité les débats contemporains sur la décroissance et l’empreinte carbone des élites dirigeantes.

Un héritage vivant malgré l’interruption brutale

L’assassinat de Sankara en octobre 1987 interrompt brutalement cette expérience unique, et nombre de ses conquêtes sont démantelées par ses successeurs. Pourtant, l’idée qu’un développement authentique doit être à la fois socialement juste et écologiquement régénératif continue de cheminer bien au-delà des frontières burkinabè. La culture de la plantation d’arbres demeure profondément ancrée dans les mentalités locales, tandis que l’architecture du futur mausolée Sankara, conçue par Francis Kéré, prolonge symboliquement son message en privilégiant les briques de latérite locales et la ventilation naturelle selon une approche de modernité enracinée.

L’actualité de Thomas Sankara tient à trois dimensions fondamentales de son action. D’abord son extraordinaire capacité d’anticipation : dès les années 1980, il établit des liens systémiques entre climat, sécurité alimentaire et souveraineté politique. Ensuite, l’intégration remarquable de ses politiques qui mêlent écologie, égalité de genre, santé publique et lutte contre la corruption dans une vision cohérente du changement social.

Enfin, sa méthode de mobilisation populaire qui refuse les transitions imposées d’en haut pour faire de chaque citoyen, de l’écolier au soldat, un acteur de la transformation.

À l’heure où l’Afrique subit de plein fouet les effets du réchauffement climatique qu’elle n’a pas provoqué, l’expérience burkinabè des années 1980 rappelle qu’il n’existe de durabilité véritable que centrée sur les communautés et libérée des dépendances néocoloniales. Sankara le formulait avec sa lucidité habituelle : « Nous devons oser inventer l’avenir. »

Un avenir qu’il voyait vert, juste et souverain, et qu’il nous appartient de continuer à planter, arbre après arbre, idée après idée.

Masque Africamaat
Spécialiste de l'actualité d'Afrique Centrale, mais pas uniquement ! Et ne dédaigne pas travailler sur la culture et l'histoire de temps en temps.
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