RDC : la CENCO dénonce la peine de mort et appelle à un dialogue inclusif


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Les membres de la CENCO
Les membres de la CENCO

En RDC, les évêques catholiques fustigent la condamnation à mort de Joseph Kabila et rappellent le caractère sacré de la vie humaine. C’est la position clairement affichée dans un message rendu public, ce lundi, par la CENCO.

La Conférence Épiscopale Nationale du Congo (CENCO) a pris une position ferme contre l’application de la peine de mort en République démocratique du Congo (RDC), dans une déclaration rendue publique ce lundi 6 octobre. Les évêques catholiques dénoncent la reprise de la peine capitale après deux décennies de moratoire et condamnent avec force la sentence prononcée contre l’ancien Président, Joseph Kabila, par la Haute Cour militaire de Kinshasa.

Un rappel au principe sacré de la vie

Intitulée « Dieu seul est l’auteur de la vie, et lui seul a autorité sur son commencement et sa fin », la déclaration s’ouvre sur un rappel biblique fondamental : « Tu ne tueras point ». La CENCO s’érige ainsi en défenseur du caractère sacré et inviolable de la vie humaine, un principe qu’elle estime bafoué par le retour de la peine capitale en RDC.

Les prélats rappellent qu’ils s’étaient déjà opposés, en mars 2024, à la levée du moratoire sur la peine de mort décrétée par le ministère de la Justice. « Le moratoire devait naturellement aboutir à l’abolition et non à la reprise d’une mesure inhumaine », soulignent-ils, en ajoutant que la peine capitale constitue « un échec pour une communauté digne de ce nom » et « blesse la dignité de la personne humaine créée à l’image de Dieu ». La CENCO insiste aussi sur la contradiction entre cette pratique et la Constitution congolaise, qui consacre la sacralité de la vie parmi les droits fondamentaux. Pour les évêques, exécuter un condamné revient à violer un droit que nul pouvoir humain ne peut abolir.

Un procès qui fracture la nation

C’est dans ce contexte que la CENCO s’est dite « horrifiée » par la condamnation à mort de Joseph Kabila, décidée à l’issue d’un procès qu’elle qualifie d’« expéditif ». Sans se prononcer sur le fond de l’affaire, la hiérarchie catholique s’inquiète des conséquences d’un tel verdict sur la cohésion nationale. « Considérant l’inquiétude suscitée par l’arrêt de la Haute Cour Militaire et l’impérieuse nécessité de renforcer la cohésion nationale, nous réitérons notre appel à chercher des solutions politiques », écrivent les évêques, qui rappellent que l’Église, sans se confondre avec la politique, est appelée à défendre la transcendance de la personne humaine.

Cette mise en garde vise à alerter sur le risque d’une polarisation accrue dans un pays déjà fragilisé par la guerre à l’est et la méfiance politique à Kinshasa. En condamnant à mort un ancien chef d’État, la justice militaire a rouvert un débat éthique et politique que la CENCO juge dangereux pour la paix civile.

Le plaidoyer pour un dialogue inclusif

Au-delà de la dénonciation de la peine de mort, le message des évêques se veut un appel à la raison politique. Ils estiment que la paix et la stabilité en RDC ne pourront s’obtenir que par un « dialogue inclusif », impliquant l’ensemble des acteurs : gouvernement, opposition, société civile et groupes armés. « Nous demeurons convaincus qu’un dialogue inclusif reste la voie la mieux indiquée tant pour affronter les causes profondes des crises que pour retrouver l’unité, la paix et l’intégrité territoriale de notre pays », insiste la CENCO.

Les prélats saluent les efforts des institutions et des partenaires internationaux, mais préviennent que ceux-ci seront « infructueux » tant que les acteurs congolais ne respecteront pas les accords signés et ne placeront pas la paix au-dessus des intérêts partisans. Reprenant les paroles du pape François, la CENCO avertit contre « l’illusion qu’une paix juste peut être obtenue par la force des armes ». Dans un pays où les conflits armés continuent de ravager les provinces orientales, le message résonne comme un rappel moral et spirituel à la responsabilité collective.

Une interpellation morale au pouvoir

Dans un passage particulièrement fort, la déclaration met en garde contre la « culture de la mort » et les logiques de vengeance qui alimentent la fragmentation du pays. « Nous réitérons notre exhortation aux Gouvernants de notre pays, à l’Opposition armée et non armée, aux membres de la société civile et à tout le Peuple congolais, à s’engager fermement, dans la lutte contre les différents facteurs qui alimentent les conflits et qui font le lit de la culture de la mort et du grand risque de balkanisation de notre pays », lit-on dans le communiqué.

En définitive, cette déclaration est autant une dénonciation qu’une interpellation. Elle vise le gouvernement, accusé de céder à la tentation autoritaire sous couvert de justice, mais aussi l’ensemble des forces politiques, invitées à « chercher des solutions politiques » plutôt que des règlements de comptes judiciaires. Dans un contexte où la peine de mort redevient un instrument de dissuasion politique, la CENCO s’impose comme la voix morale d’un pays en quête de repères. Sa prise de position, ferme mais pacifique, renoue avec la tradition d’engagement de l’Église congolaise, qui a souvent joué un rôle de médiation lors des grandes crises nationales.

La déclaration se termine sur une prière : « Que la Vierge Marie, Notre Dame du Congo, nous obtienne la miséricorde divine et la paix ». Un appel à la réconciliation, dans un pays où la justice semble de plus en plus devenir un champ de bataille politique.

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Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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