
En avril 2021, alors que le Bénin s’apprêtait à reconduire Patrice Talon pour un second mandat, Léhady Soglo, ancien maire de Cotonou exilé en France depuis 2017, lançait sur les ondes internationales un appel à boycotter l’élection. Depuis Paris, il exhortait ses compatriotes à descendre dans la rue pour « défendre la démocratie ». Mais sur le terrain, ce sont des citoyens ordinaires qui se sont retrouvés face aux forces de l’ordre.
Cette séquence résume une tendance de plus en plus visible en Afrique : des opposants, souvent installés à l’étranger et relativement protégés, incitent leurs compatriotes à s’exposer à une répression brutale. Loin du tumulte, à l’abri des violences policières, ils se présentent en stratèges d’une lutte dont les premières victimes sont les plus vulnérables.
Bénin, Guinée, Togo, Cameroun, RDC : la rue instrumentalisée depuis l’exil
L’exemple de Léhady Soglo n’est pas isolé. Au Bénin, plusieurs figures politiques en exil ont multiplié les appels à la mobilisation contre le régime Talon, dénonçant une confiscation démocratique. Mais les conséquences de ces exhortations sont bien réelles : ce sont des étudiants, des paysans, des commerçantes qui se sont retrouvés confrontés aux arrestations.
En Guinée, lors de la contestation du troisième mandat d’Alpha Condé en 2020, des voix influentes de l’opposition, installées à l’étranger, encourageaient la rue à défier les autorités. Le bilan fut lourd : plus de 90 morts selon Amnesty International, des centaines de blessés, des familles endeuillées. Pendant ce temps, les leaders qui soufflaient sur les braises depuis l’extérieur ne risquaient ni prison, ni répression.
Au Togo, la diaspora a longtemps été en première ligne pour dénoncer la dynastie Gnassingbé. Des appels réguliers à la mobilisation populaire ont circulé, notamment en 2017 lors de la grande contestation. Mais après des mois de manifestations violemment réprimées, la lassitude a gagné les rangs de la population. Les exilés continuaient d’appeler à la rue, tandis que ceux qui y descendaient faisaient face à la répression et à l’épuisement.
Au Cameroun, plusieurs figures de l’opposition en exil appellent régulièrement à la désobéissance civile. Mais sur place, les manifestations sont systématiquement dispersées et les militants locaux arrêtés. En République démocratique du Congo, certaines voix de la diaspora relayent des consignes de mobilisation depuis l’Europe, mais les véritables conséquences (arrestations, passages à tabac, procès politiques) se jouent à Kinshasa ou à Goma, loin des capitales européennes.
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Une responsabilité morale en question
Bien sûr, l’exil n’est pas toujours un choix. Beaucoup fuient des régimes autoritaires qui ne laissent aucune place à la contestation. Mais une question demeure : jusqu’où peut-on appeler à la rue, quand on n’est pas soi-même exposé à la répression ?
Il existe une frontière claire entre le droit à critiquer un régime depuis l’extérieur et la tentation d’utiliser la population locale comme levier de pression. Les révoltes populaires, lorsqu’elles sont déclenchées depuis l’exil, s’apparentent souvent à une lutte par procuration où les anonymes servent de boucliers humains.
Une démocratie confisquée
Au final, ce sont toujours les mêmes qui paient : les jeunes sans emploi, les mères de famille, les citoyens ordinaires. Les leaders exilés préservent leurs familles, conservent leurs réseaux, leurs ressources, et parfois leurs privilèges, tandis que les plus pauvres subissent les coups, la prison ou la mort.
La démocratie ne peut pas être importée de l’extérieur ni construite sur le sacrifice des plus fragiles. Elle exige du courage, mais aussi de la présence sur le terrain. Tant que certains opposants continueront à souffler sur les braises depuis leurs confortables exils, les peuples africains risquent de rester piégés dans une spirale où la répression l’emporte toujours sur l’espérance.