Procès anti-balaka à la CPI : réquisitoire contre Yekatom et Ngaïssona


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Des miliciens anti-balaka
Des miliciens anti-balaka

Le procès d’Alfred Yekatom et de Patrice-Edouard Ngaïssona, deux anciens responsables des milices anti-balaka, est entré dans sa dernière phase à la Cour pénale internationale (CPI). Les deux hommes sont accusés de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, commis entre 2013 et 2014 en Centrafrique, lors de la bataille de Bangui et d’attaques contre des civils. Le procureur a prononcé son réquisitoire le 9 décembre 2024, revenant sur 75 témoignages recueillis au cours de près de quatre ans de procès.

Les crimes reprochés incluent meurtres, tortures, persécutions, mutilations, enrôlement d’enfants soldats et attaques contre des civils. Selon le procureur, Ngaïssona aurait participé à un plan criminel visant à expulser Michel Djotodia et à renverser le pouvoir en RCA, en utilisant des groupes armés pour venger les musulmans. La défense et les représentants des victimes prendront ensuite la parole.

Les violences en Centrafrique : l’impact des anti-balaka sur le pays

La Centrafrique, pays enclavé au cœur du continent africain, a été le théâtre de violences extrêmes ces dernières décennies, alimentées par une série de conflits et de divisions communautaires. Parmi les acteurs les plus notoires de cette tragédie, les anti-balaka, milice formée en réponse à la montée des ex-Séléka, ont joué un rôle important dans l’escalade de la violence, non sans semer la terreur et la division à travers le pays.

Ce groupe armé, composé en grande partie de civils désespérés, a engendré une spirale de violences intercommunautaires qui a dévasté le pays et laissé une empreinte indélébile dans la mémoire collective des Centrafricains.

La montée des anti-balaka : un phénomène de réaction

L’émergence des anti-balaka remonte à 2013, en pleine guerre civile, lorsque les rebelles de la coalition ex-Séléka renversent le gouvernement du président François Bozizé. Cette coalition, composée principalement de musulmans, impose un régime de terreur qui touche principalement les populations chrétiennes et animistes du pays. Face à cette violence, une réaction populaire se forme sous la forme des anti-balaka, un groupe hétéroclite composé de paysans, de jeunes, de membres de milices locales, et même d’anciens militaires.

Leur nom, « anti-balaka », signifie « contre les machettes », en référence à l’armement léger qu’ils utilisent contre leurs ennemis, principalement les Séléka et leurs alliés. Leur lutte, d’abord perçue comme une défense contre la domination des ex-Séléka, va rapidement se transformer en une guerre sans merci contre toute personne suspectée d’être musulmane ou proche du groupe Séléka. Ce phénomène de radicalisation locale est alimenté par les rumeurs, la peur et une volonté de vengeance après les atrocités commises par les ex-Séléka.

Une violence systématique contre les civils

Mais, au fil du temps, les anti-balaka deviennent eux-mêmes responsables de violences de grande ampleur contre des civils innocents. Les anti-balaka se sont illustrés par des attaques sauvages contre des populations musulmanes et celles perçues comme alliées de l’ex-Séléka. Les villages entiers ont été attaqués, les maisons incendiées, les femmes et les enfants tués ou capturés. Les violences se sont intensifiées, et les anti-balaka ont mis en place un véritable climat de terreur, s’en prenant à quiconque ne correspondait pas à leur vision idéologique.

Les massacres perpétrés par les anti-balaka ne se sont pas limités à des affrontements armés. Des exécutions sommaires, des mutilations et des viols ont été régulièrement rapportés. La violence de ces actes a été telle qu’elle a provoqué des déplacements massifs de populations à travers tout le pays. Des milliers de personnes ont fui vers la capitale Bangui ou se sont réfugiées dans des camps de déplacés, où les conditions de vie sont restées précaires et où les tensions communautaires se sont exacerbées.

Une réponse internationale et un piètre résultat

Le climat de violence généralisée a également favorisé l’explosion des haines interreligieuses. Les anti-balaka, principalement chrétiens et animistes, ont opposé leur résistance à une vision du monde dominée par l’islam, cherchant à imposer leur propre idéologie religieuse et politique. De ce fait, les affrontements entre chrétiens et musulmans ont pris des proportions dramatiques, au point de transformer la Centrafrique en un champ de bataille idéologique et religieux.

Face à l’ampleur du conflit, la communauté internationale a tenté d’intervenir pour rétablir l’ordre. En 2013, la France a lancé l’opération Sangaris pour soutenir les forces africaines et mettre fin à la violence. Cette intervention, bien que saluée par certains, a échoué à stabiliser la situation. En effet, le climat de guerre civile persistait, et la violence des anti-balaka restait incontrôlable.

Les anti-balaka soutenus par certaines communautés

En parallèle, les Nations Unies ont déployé la mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation en République Centrafricaine (MINUSCA). Cependant, bien que cette mission ait permis de limiter certains aspects des violences, elle n’a pas réussi à désarmer les groupes armés, dont les anti-balaka, ni à créer un véritable dialogue entre les différentes communautés.

Les anti-balaka, qui s’étaient organisés en véritables milices, ont continué de bénéficier du soutien de certaines communautés, notamment rurales, qui leur apportaient des ressources et de la main-d’œuvre. La force de ces groupes résidait dans leur connaissance du terrain et leur capacité à s’infiltrer dans les zones de conflit, où l’État central était absent ou trop faible pour contrer efficacement la violence.

L’après-conflit : les cicatrices d’une société dévastée

La Centrafrique, bien que parvenue à un certain retour à la stabilité après plusieurs accords de paix, porte encore les lourdes cicatrices de la guerre. Les anti-balaka, bien qu’affaiblis, continuent d’avoir une influence dans certaines régions du pays. Les populations traumatisées vivent encore sous l’emprise de la peur et du souvenir des horreurs commises. Les divisions communautaires sont profondes, et la réconciliation semble un objectif difficile à atteindre.

Le processus de paix est fragilisé par des violences sporadiques et des rivalités persistantes, mais des initiatives locales ont émergé, visant à promouvoir la réconciliation et la cohabitation pacifique entre chrétiens, musulmans et animistes.

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Très attaché à l’Afrique Centrale que je suis avec une grande attention. L’Afrique Australe ne me laisse pas indifférent et j’y fais d’ailleurs quelques incursions
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