
Face aux rumeurs propagées sur les réseaux sociaux, Rabat maintient son silence officiel tout en laissant des relais proches démentir toute aide militaire à l’État hébreu dans sa guerre contre Téhéran. Une polémique qui ravive les tensions autour de la normalisation avec Israël, alors que les ports marocains continuent d’accueillir des navires militaires israéliens.
Tout a commencé par un simple tweet. Le 16 juin, l’ancien député européen Gilbert Collard affirme sur X que « le Maroc se dit prêt à offrir une aide humanitaire à Israël contre l’Iran. Un grand peuple avec un grand roi ». Cette déclaration, rapidement relayée par plusieurs médias francophones, a gonflé sur les réseaux sociaux pour présenter le Maroc comme un allié militaire actif d’Israël dans le conflit ouvert avec l’Iran depuis le 13 juin.
Aucune source officielle marocaine ne confirme une telle position de Rabat, mais la rumeur a pris de l’ampleur dans un contexte régional tendu.
Un démenti par le silence et les contre-feux
Face à ces allégations, ni le palais royal ni le ministère des Affaires étrangères n’ont publié de communiqué confirmant ou démentant un quelconque soutien à Israël. Cependant, plusieurs comptes proches du gouvernement ont qualifié ces rumeurs de « fake news », rappelant qu’aucun communiqué officiel n’existe sur une prétendue aide marocaine.
Cette stratégie du non-commentaire s’inscrit dans la ligne diplomatique habituelle du Maroc : éviter de s’aligner publiquement sur un camp pour préserver à la fois ses nouveaux partenariats sécuritaires et la sensibilité pro-palestinienne de la quasi totalité de sa population.
Des précédents qui alimentent la suspicion
Le scepticisme du peuple ou des médias internationaux vis-à-vis de ces démentis tacites s’explique en partie par une série d’escales controversées de navires israéliens dans les ports marocains. Le bâtiment de débarquement INS Komemiyut de la marine israélienne a fait escale à Tanger-Med les 6-7 juin 2024, en pleine guerre de Gaza, pour se ravitailler en carburant et provisions. Des navires qui n’avaient pu faire escale en Espagne, la péninsule ibérique ayant interdite tout acceuil de navires militaires israëliens.
Plus récemment, le Maroc a autorisé l’accueil de deux porte-conteneurs Maersk (Denver et Seletar) refoulés par l’Espagne pour suspicion de transport d’armes vers Israël. Ces « escales techniques », comme les qualifie Rabat, confirment cependant la bienveillance marocaine envers la logistique militaire israélienne.
Le contraste européen
Si l’Espagne a plusieurs fois refusé l’accès de ses installations portuaires à des navires soupçonnés de transporter du matériel militaire destiné à Israël, illustrant une position de plus en plus ferme de Madrid qui a reconnu l’État palestinien, la France a également durci sa position en fermant récemment les stands d’entreprises d’armement israéliennes au Salon du Bourget.
Là où ces pays européens affichent des restrictions croissantes, le Maroc apparaît encore comme un point de passage alternatif, un « hub » logistique discret pour les approvisionnements militaires israéliens. S’il n’est pas question pour Mohammed VI d’afficher un soutien officiel à Tel Aviv, le Roi ménage cependant son nouvel allié hébreux qu’il juge nécessaire à son plan sur le Sahara occidental.
Pourtant, la normalisation avec Israël suscite une opposition croissante au Maroc. Abdelilah Benkirane, ancien chef du gouvernement et leader du PJD, a ouvertement exprimé son soutien à l’Iran face à Israël, qualifiant la normalisation de « trahison morale et historique ». Trois syndicats ont appelé les dockers des ports de Casablanca et Tanger à boycotter les navires transportant des armes pour Israël, illustrant la mobilisation de la société civile contre cette politique.
L’équilibrisme royal face aux enjeux géopolitiques
Depuis les Accords d’Abraham de 2020, le Maroc engrange des gains stratégiques considérables : coopération sécuritaire renforcée, reconnaissance américaine de sa souveraineté sur le Sahara occidental, contrats d’armements sophistiqués. En 2023, Israël est devenu le troisième fournisseur d’armes du Maroc, derrière les États-Unis et la France.
Mais chaque avantage diplomatique se paie d’un coût intérieur grandissant. Presque tous les jours depuis le début de la guerre à Gaza, les villes marocaines sont le théâtre de rassemblements et de manifestations de solidarité avec le peuple palestinien. En outre, le roi Mohammed VI, qui préside le Comité Al-Qods chargé de la protection des intérêts palestiniens, se trouve dans une position paradoxale entre son rôle historique de défenseur de la cause palestinienne et sa politique pragmatique privilégiant les intérêts stratégiques du royaume.
Le démenti implicite de tout soutien militaire à Israël contre l’Iran relève d’un calcul minutieux : satisfaire Washington et Tel-Aviv sans rompre la normalisation, tout en évitant d’exacerber l’hostilité populaire déjà nourrie par la guerre de Gaza.