
Le dépôt des dossiers de candidature pour l’élection présidentielle camerounaise d’octobre 2025, clos le 21 juillet à minuit, a battu tous les records. Pas moins de 81 dossiers ont été réceptionnés par Elections Cameroon (ELECAM), soit près de trois fois plus qu’en 2018. Mais pas que.
La candidature à l’élection présidentielle d’octobre 2025 au Cameroun, on en parle encore plus de 24 heures après la clôture officielle du dépôt des dossiers. En effet, le chiffre inédit de dossiers de candidature enregistrés s’accompagne d’un ensemble de faits singuliers, révélateurs d’une scène politique à la fois fébrile, fragmentée et, par endroits, déconcertante.
Un record qui interroge : explosion des candidatures malgré des barrières renforcées
Depuis la réforme électorale de 2012, les conditions pour se présenter à la magistrature suprême ont été considérablement durcies. Il faut désormais non seulement verser une caution de 30 millions de F CFA (environ 45 700 euros), mais aussi justifier d’une présence électorale, via l’élection d’au moins un représentant pour tout parti politique en lice. Malgré cela, l’enthousiasme – ou le désordre – est tel que 55 candidats de partis politiques et 26 indépendants ont tenté leur chance.
Parmi les postulants, on compte 74 hommes et 7 femmes, dont certaines, comme Hermine Patricia Tomaïno Ndam Njoya (UDC) ou Martine Danielle Befolo Essono (MPEC), entendent bien inscrire une voix féminine au cœur de la campagne.
Partis éclatés : plusieurs candidatures sous une même bannière
L’une des plus grandes curiosités de ce scrutin réside dans les multiples candidatures issues d’un même parti, une situation inédite et en contradiction flagrante avec le Code électoral camerounais, qui prévoit qu’un parti ne peut investir qu’un seul candidat. Cette cacophonie institutionnelle soulève des interrogations sur la discipline partisane, mais aussi sur d’éventuelles stratégies politiciennes.
Ainsi, le RDPC, parti au pouvoir, voit cohabiter dans la liste des postulants Paul Biya, président sortant de 92 ans, et Onana Léon Theiler, autre militant ayant également déposé sa candidature. Une insubordination symbolique ou un acte isolé d’indépendance ? La réponse viendra du Conseil constitutionnel.
Plus étonnant encore, le MANIDEM, qui aligne Maurice Kamto et Yegba Dieudonné, ou encore l’UPC, qui se distingue par trois candidatures distinctes (Yamb Ntimba Dominique, Abdouraman Hamadou Babba, Jean Bahebeck). Le parti UNIVERS n’est pas en reste, avec Akere Muna et Chantal Membouet en lice. Cette multiplication de candidatures au sein de mêmes formations politiques soulève la question du leadership, du respect des procédures internes et, parfois, de l’opportunisme électoral.
Des profils déroutants et des cas juridiquement sensibles
Outre ces bizarreries partisanes, la liste des prétendants recèle plusieurs profils qui interrogent la rigueur des dépôts :
- Daloutou Hamada, 31 ans, a bravé la loi qui fixe à 35 ans l’âge minimum pour se présenter à la Présidentielle. Une invalidation probable qui n’empêche pas la médiatisation de sa démarche.
- Le cas le plus rocambolesque est celui de Bessiping, candidat du Rassemblement des forces écologiques pour la relance de l’économie (RFERE), qui a déposé son dossier à 23h 59, soit une minute avant la clôture, sans verser la caution exigée. Sa justification ? « L’État me doit de l’argent depuis des années. Je ne paierai pas un franc de plus », insistant sur le fait d’avoir vu son solde abusivement suspendu. « J’ai passé des années sans salaire pour rien. Et après, quand on (l’État camerounais, Ndlr) a constaté que c’était pour rien, on m’a rétabli mais on ne m’a pas fait le rappel », a laissé entendre le candidat à l’élection présidentielle. Avant de lancer : « Le Trésor a déjà suffisamment mon argent. Avec les intérêts qu’ils me doivent. Je ne peux pas venir ajouter l’argent sur l’argent ». Une déclaration retentissante, relayée par la télévision camerounaise, qui met en lumière un climat de défiance croissant envers les institutions.
Une fragmentation de l’opposition qui fait le jeu du pouvoir ?
Alors que l’opposition peine depuis des années à s’unir autour d’une candidature unique, ce morcellement extrême pourrait lui être fatal. Certains analystes soupçonnent même une stratégie de division encouragée en coulisses, comme le confie un journaliste camerounais sous couvert d’anonymat : « Le pouvoir veut éclater les voix. Cette inflation de candidatures n’est pas anodine. Elle joue clairement en faveur de Paul Biya. »
Les figures bien connues comme Cabral Libii, Joshua Osih, Maurice Kamto ou encore Bello Bouba, de retour après une longue alliance avec le régime, voient ainsi leurs candidatures concurrencées jusque dans leurs propres camps.
Prochaine étape : le grand tri constitutionnel
ELECAM a désormais transmis les dossiers au Conseil constitutionnel, qui dispose d’un délai de 12 jours pour trancher. Le tri sera rigoureux : conformité des pièces administratives, respect des conditions d’éligibilité, unicité de candidature par parti… Le verdict, attendu début août, définira la liste officielle des candidats autorisés à concourir le 12 octobre 2025.
Cette première phase du processus électoral, marquée par des scènes parfois ubuesques, illustre à la fois l’aspiration au changement de nombreuses figures politiques camerounaises… et les profondes failles systémiques qui continuent de miner la démocratie dans le pays.