Présidence de la CEDEAO : la difficile expérience de Bola Tinubu


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Asiaju Bola Ahmed Tinubu
Asiaju Bola Ahmed Tinubu, Président du Nigeria

Depuis le début des événements du Niger, le Président en exercice de la CEDEAO, le Nigérian Bola Tinubu, se trouve dans une position très peu confortable. Il est pris entre deux feux.

9 juillet 2023, à Bissau. Les dirigeants de la CEDEAO se réunissent pour la 63e session ordinaire de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement. Bola Tinubu, tout nouveau Président du Nigeria investi moins de deux mois plus tôt, hérite de la présidence en lieu et place de Umaro Sissoco Embaló qui n’a pas voulu rempiler. Bola Tinubu prend ses nouvelles responsabilités très au sérieux. Discours engagé. Pro-démocratie. Viscéralement anti-putsch. « Nous devons être des défenseurs de la démocratie. Nous avons fait beaucoup de sacrifices pour elle, nous en avons besoin et nous devons être des exemples. Sans la démocratie, pas de bonne gouvernance, pas de liberté, pas de lois. La démocratie est le meilleur système de gouvernance », a d’abord lancé le nouveau Président nigérian.

Et d’ajouter : « Nous n’allons plus tolérer des coups d’État successifs dans la région, poursuit-il. Nous le prenons au sérieux. Je suis avec vous. Le Nigeria est de retour ». Moins de trois semaines plus tard, Bola Tinubu allait se confronter à la dure réalité des coups d’État. Aux portes de son propre pays. Au Niger, pays avec lequel le Nigeria partage environ 1 500 km de frontières.

Entre le marteau et l’enclume

Conformément au discours qu’il a tenu, Bola Tinubu et ses pairs se réunissent en urgence pour apprécier la situation au Niger et prendre les décisions qui s’imposent : obtenir la réhabilitation de Mohamed Bazoum, par tous les moyens possibles, y compris par la force, si nécessaire. Dans ce sens, un ultimatum d’une semaine a été donnée à la junte nigérienne pour libérer le Président Bazoum séquestré et le réinstaller dans ses fonctions. Dans la foulée, les chefs d’état-major des armées des pays membres de la CEDEAO se réunissent en conclave à Abuja pour trois jours. À la fin de leurs assises, le plan d’intervention est prêt. Les militaires n’attendent que l’ordre des chefs d’État pour lancer l’opération.

Samedi 5 août 2023. Veille de l’expiration de l’ultimatum. Le Sénat nigérian se réunit. Au terme de plusieurs heures de discussions, le président du Sénat parle au nom de ses pairs. Il demande à Bola Tinubu, « en tant que président en exercice de la CEDEAO, d’encourager les autres leaders à renforcer les options diplomatiques et politiques (…) afin de sortir de l’impasse politique au Niger ».

Une expérience très compliquée pour Tinubu

Bola Tinubu ne parvient donc pas à obtenir un blanc-seing de la chambre haute du Parlement. Or la Constitution du pays stipule que « la déclaration d’un état de guerre entre la Fédération du Nigeria et un autre pays (…) doit être sanctionnée par une résolution des deux chambres du Parlement réunies en séance conjointe – et sans approbation du Sénat, aucun membre des forces armées (…) ne peut être déployé pour combattre en dehors du Nigeria ». Même si le Président a la possibilité d’engager l’armée dans « des combats ciblés en dehors du Nigeria (…), si la sécurité nationale est sous une menace imminente », il doit quand même consulter le Sénat dans les sept jours qui suivent le début de l’action militaire.

Ainsi, non seulement le chef de l’État nigérian n’a pas le soutien du Sénat, mais il a contre lui une bonne frange de la population qui voit d’un très mauvais œil une intervention militaire contre un pays frère avec lequel le Nigeria a beaucoup de choses en commun. La situation est pareille dans les autres pays membres de la CEDEAO où les populations s’opposent également à toute idée d’intervention militaire de l’organisation au Niger. Du coup, même si Bola Tinubu veut maintenir le langage de la fermeté vis-à-vis de la junte nigérienne, il est confronté à l’opposition de ses compatriotes. S’il ne fait rien, les propos qu’il a tenus, le jour où il prenait la présidence de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement, deviennent lettres mortes. Une expérience sans doute très compliquée pour le nouveau dirigeant nigérian.

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Historien, Journaliste, spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne
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