
Longtemps soumise à un embargo sur les armes, l’Érythrée est aujourd’hui au centre des préoccupations sécuritaires dans la Corne de l’Afrique. Selon un rapport accablant publié par l’ONG américaine The Sentry, le régime autoritaire d’Issaias Afeworki renforcerait discrètement ses capacités militaires depuis la levée de l’embargo en 2018.
Officiellement justifié par des besoins de défense nationale, ce réarmement semble surtout alimenter l’instabilité régionale, notamment en Éthiopie.
Un réarmement opaque après des années d’isolement
L’embargo onusien, instauré en 2009 en raison de soupçons de soutien aux jihadistes somaliens, avait isolé Asmara sur la scène militaire internationale. Mais depuis sa levée, l’Érythrée multiplie les initiatives pour reconstruire ses forces armées. D’après The Sentry, le pays modernise ses systèmes de défense, réorganise ses troupes et maintient une présence militaire dans des zones sensibles, en particulier dans la région éthiopienne du Tigré, malgré l’accord de paix signé fin 2022.
Lourds héritages de la guerre du Tigré
Entre 2020 et 2022, le conflit du Tigré a vu l’intervention directe de l’armée érythréenne aux côtés des forces fédérales éthiopiennes contre les rebelles tigréens. Le bilan est tragique : environ 600 000 morts, selon l’Union africaine. Le rapport de The Sentry pointe des crimes de guerre à grande échelle attribués aux troupes érythréennes, parmi lesquels des massacres, des violences sexuelles systématiques et des pillages méthodiques. Même après le cessez-le-feu, des éléments armés venus d’Érythrée continueraient d’exploiter les ressources aurifères du Tigré et d’alimenter des réseaux de traite humaine.
Entre tensions renaissantes et silence diplomatique
Les relations entre Asmara et Addis-Abeba, brièvement réchauffées en 2018, sont de nouveau glaciales. L’ONG appelle la communauté internationale à ne pas rester spectatrice : un nouveau conflit pourrait à tout moment éclater, et l’Érythrée jouerait un rôle moteur dans cette escalade. En l’absence de sanctions ciblées ou de pressions diplomatiques, le pays semble déterminé à suivre sa propre voie, quitte à mettre en péril l’équilibre de toute une région.
L’Érythrée, souvent qualifiée de « Corée du Nord de l’Afrique », poursuit une stratégie militaire inquiétante dans une zone déjà ravagée par des conflits à répétition. Le silence des grandes puissances et la frilosité des institutions africaines face aux agissements d’Asmara laissent craindre une répétition de l’histoire.