Porto-Novo : plongée dans la majesté de la mosquée centrale, héritage afro-brésilien


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Mosquée centrale de Porto-Novo
Mosquée centrale de Porto-Novo

Le soleil tape fort ce matin sur le grand marché de Porto-Novo. Entre les étals de fruits, de tissus et d’épices, une silhouette monumentale attire le regard, s’impose par sa présence. Ses façades colorées, ornées de motifs surprenants, se dressent au-dessus du tumulte quotidien. La mosquée centrale de Porto-Novo est un chef-d’œuvre afro-brésilien qui semble veiller sur la ville depuis près d’un siècle. Allons à la découverte de cet emblème de la culture afro-brésilienne à Porto-Novo, ville à l’histoire riche et colorée, ville capitale du Bénin.

La mosquée centrale est l’un des attraits touristiques dont tout visiteur débarquant dans la capitale du Bénin, Porto-Novo, la cité aux trois noms – Xogbonu, Adjatchè, Porto-Novo –, devrait apprécier. Afrik.com vous conduit dans un voyage au cœur de cette majestueuse construction et de son histoire qui remonte au début du XXe siècle.

Une rencontre avec l’histoire

En s’approchant, le visiteur est frappé par la singularité du bâtiment. Ses formes rappellent plus une église baroque d’Amérique latine qu’une mosquée classique. Les colonnes, les frontons sculptés et les détails minutieux racontent une histoire : celle des Afro-Brésiliens, communément appelés Aguda, ces anciens esclaves revenus du Brésil à partir du XIXᵉ siècle – après la révolte des Malês du 25 janvier 1835 –, porteurs de savoir-faire architecturaux, entre autres, et d’une identité métissée.

Construite entre 1911 et 1935, après des années de labeur marquées par diverses péripéties, la mosquée a été voulue par la communauté musulmane afro-brésilienne de Porto-Novo. Faut-il le rappeler ? Le terrain sur lequel est érigé le grand bâtiment a été offert par un créole brésilien, et les fidèles ont contribué de leurs mains et de leurs dons à édifier ce monument devenu aujourd’hui un symbole de fierté. L’administration coloniale française n’était pas restée en marge de l’initiative, puisqu’elle avait également contribué à l’œuvre à travers une subvention.

« Le centre d’irradiation de l’islam dans Porto-Novo et sa banlieue »

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Grande Mosquee Porto Novo Benin Joseph Herve Ahissou

Pour l’historien Soulé Abiodun Taho, par ailleurs musulman pratiquant et habitué de ce lieu de prières, la mosquée centrale de Porto-Novo a joué un rôle essentiel dans la propagation de la religion musulmane à Porto-Novo et ses environs. « La mosquée centrale de Porto-Novo est comme le centre d’irradiation de l’islam dans Porto-Novo et sa banlieue. Parce qu’il s’agit d’une mosquée de vieille date, qui a inspiré presque toutes les mosquées de la région de l’Ouémé-Plateau d’aujourd’hui et même un peu au-delà », explique-t-il.

Soulé Abiodun Taho, Historien et musulman pratiquant
Soulé Abiodun Taho, Historien et musulman pratiquant

« Quand je dis que c’est le centre de l’irradiation de l’islam dans cette région-là, c’est que beaucoup de musulmans, yoruba bien entendu, sont partis de Porto-Novo pour islamiser presque toute sa banlieue (Adjarra, Ifangni, Sakété, etc.). La mosquée centrale est la mère de toutes les mosquées de la région », insiste l’historien. Avant d’ajouter, non sans une once de fierté : « Avant d’être un patrimoine de la ville, la mosquée centrale est d’abord le patrimoine de tous les musulmans de la région ».

« La mosquée centrale peut être comparée à ce qu’est la Cathédrale Notre-Dame pour la ville de Paris… »

Sous la lumière, les couleurs se révèlent. Les murs peints, patinés par le temps, laissent apparaître des ornements inspirés de Salvador de Bahia. Ici, un motif floral ; là, la coquille de Saint Jacques, curieux clin d’œil au pèlerinage de Compostelle. Chaque détail surprend, interpelle, raconte un fragment de mémoire. La mosquée n’est pas qu’un monument figé : elle est au cœur de la vie quotidienne du grand marché, comme un repère immuable au milieu des cris, des rires et du vacarme des négociants. Mais derrière les lourdes portes en bois, le tumulte du marché s’éteint. L’intérieur de la mosquée surprend par sa sobriété. Pas de dorures excessives, mais un espace vaste et lumineux, où l’air porte l’odeur de l’encens et la résonance des prières.

« La mosquée centrale est le patrimoine architectural le plus emblématique de la ville de Porto-Novo. Je peux dire, peut-être en citant Didier Houénoudé – Historien de l’art, enseignant-chercheur au Département d’Histoire et d’Archéologie de l’Université d’Abomey-Calavi, Bénin, ndlr – que la mosquée centrale peut être comparée à ce qu’est la Cathédrale Notre-Dame pour la ville de Paris ou ce qu’est le Sydney Opera House pour la ville de Sydney. Donc, c’est l’un des monuments architecturaux les plus aboutis et les plus emblématiques de la ville de Porto-Novo », nous confie Dr Richard Lys Hounsou, chef du Service de la Culture, du Patrimoine et du Tourisme de la Mairie de Porto-Novo.

Et d’ajouter : « Pour inscrire Porto-Novo comme ville créative de l’UNESCO, c’est la mosquée centrale à travers son architecture que nous avons pris comme élément principal et un savoir-faire tirant son origine des architectures baroques, mais qui a été domestiqué à Porto-Novo, et qui fait qu’aujourd’hui, nous avons assez d’artistes, d’artisans, qui ont des savoir-faire surtout sur le plan de la construction des bâtiments ».

Un joyau transatlantique

Dr Richard Lys Hounsou, Chef du Service de la Culture, du Patrimoine et du Tourisme de la Mairie de Porto-Novo
Dr Richard Lys Hounsou, Chef du Service de la Culture, du Patrimoine et du Tourisme de la Mairie de Porto-Novo

La mosquée centrale de Porto-Novo n’est donc pas seulement un lieu de culte. Elle est une archive vivante de la mémoire afro-brésilienne, un trait d’union entre l’Afrique, l’Europe et les Amériques. Comme à Lagos ou à Accra, son architecture témoigne de la circulation des hommes, des idées, des croyances et des savoir-faire autour de l’océan Atlantique. Et ça, Dr Richard Lys Hounsou le confirme en ces mots : « Les meilleurs maçons, les meilleurs coffreurs, les meilleurs ferrailleurs, etc., tout ça se retrouve aujourd’hui à Porto-Novo du fait que ces personnes qui ont été esclavagées et qui sont rentrées avec le savoir-faire venu des Amériques ont introduit à Porto-Novo cette forme d’architecture qui est quand même un élément important dans la ville, et qui fait qu’aujourd’hui, nous construisons de belles maisons de type moderne, mais qui s’inspirent toujours des connaissances que ces personnes ont acquises dans le temps ».

Face au chef-d’œuvre architectural, le visiteur sent le poids des années, mais aussi la beauté d’une continuité. Ici, passé et présent cohabitent, et chaque pierre semble redire cette vérité : Porto-Novo n’est pas seulement une capitale politique, c’est aussi une capitale de mémoire et de culture.

Une survie face au temps et aux hommes

À plusieurs reprises, la mosquée a failli disparaître. Des projets de démolition ont été évoqués, mais l’attachement de la population l’a sauvée. Dans les années 1990, la communauté musulmane afro-brésilienne a financé une restauration importante, redonnant vigueur aux murs fatigués.

Aujourd’hui, une nouvelle mosquée centrale, plus vaste et plus moderne, se dresse à ses côtés. Mais malgré son gigantisme, elle ne parvient pas à voler la vedette à l’ancienne, qui conserve une aura unique, un charme authentique que seule l’histoire confère.

Une vue de l'intérieur de la mosquée
Une vue de l’intérieur de la mosquée
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Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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