
Face aux accusations d’atteintes environnementales et aux poursuites judiciaires, le premier producteur pétrolier indépendant d’Europe voit sa stratégie d’exploitation de gisements vieillissants remise en question. Entre procès historique à Paris et audits imposés en RDC, l’heure des comptes a sonné pour la multinationale de la famille Perrodo.
L’empire Perenco en quelques chiffres
Depuis sa création en 1975, Perenco s’est imposée comme un acteur incontournable du secteur pétrolier européen. Contrôlée par la famille Perrodo et dirigée depuis ses sièges de Londres et Paris, la multinationale a bâti son succès sur une stratégie audacieuse : racheter des champs pétroliers « en fin de vie » pour les exploiter avec des techniques low-cost.
Cette approche porte ses fruits : avec une production frôlant les 450 000 barils équivalent pétrole par jour, Perenco s’étend désormais sur 16 pays, de la mer du Nord aux profondeurs du Bassin du Congo. Mais cette stratégie d’opportunité s’accompagne d’un revers de taille : des installations vieillissantes dans des zones aux réglementations souvent défaillantes.
RDC : l’épicentre d’un scandale environnemental
C’est en République démocratique du Congo que Perenco fait face à ses accusations les plus graves. À Muanda, aux portes du parc marin des Mangroves, l’entreprise exploite l’unique gisement pétrolier du pays dans des conditions dénoncées par un collectif d’ONG menées par Sherpa et Les Amis de la Terre France.
Le réquisitoire est accablant : fuites chroniques d’hydrocarbures, enfouissement de déchets toxiques, et surtout un torchage démesuré. Entre 2012 et 2022, plus de 2 milliards de mètres cubes de gaz ont été brûlés à ciel ouvert, générant autant d’émissions que 20 millions de Congolais sur une année entière.
En novembre 2022, les ONG ont franchi un cap décisif en assignant la maison-mère française devant le tribunal civil de Paris. Leur objectif : contraindre Perenco à « réparer les préjudices écologiques » et à publier un plan de prévention conforme à la loi française sur le devoir de vigilance.
La pression a porté ses fruits. En janvier 2025, Kinshasa a commandé deux audits indépendants – technique et environnemental. Pour Sherpa, cette décision constitue un aveu : « L’opacité dénoncée depuis des années est enfin reconnue. »
Une série noire d’accidents industriels
Les problèmes de Perenco ne se limitent pas au Congo. Le 20 mars 2024, un incendie ravage la plateforme Becuna du champ Simba au Gabon, tuant cinq salariés et en blessant deux autres. Un sixième reste porté disparu. L’entreprise évoque une « tragédie sans précédent » tandis que l’État gabonais ouvre une procédure pénale.
Un an plus tôt, au Royaume-Uni, 200 barils de « fluide de réservoir » s’échappaient d’un oléoduc corrodé dans le port de Poole, une zone de protection spéciale du Dorset. Les opérations de dépollution se sont étalées jusqu’en janvier 2024.
Ces incidents révèlent une réalité préoccupante : le vieillissement des installations de Perenco. Des documents dévoilés en 2024 montrent que 17 puits exploités au large du Royaume-Uni dépassent les délais de cimentation imposés par le régulateur britannique.
Biodiversité sous pression : 74 aires protégées concernées
L’impact environnemental de Perenco dépasse le cadre des accidents. Une enquête transnationale publiée fin 2023 révèle que 74 aires protégées dans neuf pays se chevauchent avec des licences d’exploitation de la multinationale, du Guatemala à la Tunisie.
En Amazonie péruvienne, la confrontation a atteint son paroxysme : la filiale locale a longtemps contesté la création de la réserve Napo-Tigre, destinée à protéger des peuples isolés, allant jusqu’à attaquer l’État péruvien en justice en 2022.
Sur le front climatique, Perenco tente de redorer son blason. Son rapport ESG 2023 met en avant des initiatives « vertes » : installation de compresseurs au Gabon, arrêts volontaires de puits en RDC, unités de récupération de vapeurs au Royaume-Uni. L’objectif affiché : atteindre le « quasi-zéro torchage ». Mais les chiffres parlent : rien qu’en RDC, le torchage de Perenco a relâché des millions de tonnes de CO₂ et de méthane dans l’atmosphère, alimentant les critiques des défenseurs du climat.
La défense tous azimuts de Perenco
Face à ces accusations, Perenco contre-attaque sur plusieurs fronts. La multinationale minimise les incidents, les qualifiant de « localisés et mineurs », parfois dus à des « actes de malveillance ». Elle revendique le respect des « normes internationales » et met en avant sa contribution au développement local : électrification, formation professionnelle, investissements sociaux.
Le procès parisien revêt une dimension historique. C’est la première fois qu’une compagnie pétrolière de taille moyenne est poursuivie sur la base de la loi française de 2017 sur le devoir de vigilance pour des dommages commis entièrement à l’étranger.