Patrick Haimzadeh : « Sans l’intervention de l’Otan, Kadhafi n’aurait pas été tué »


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Drapeau de la Libye
Drapeau de la Libye

Dans un rapport publié ce lundi, l’ONG Human Rights Watch estime que plus de soixante-douze civils auraient été tués dans des bombardements de l’Otan en Libye. Un constat qui pose de nouveau la question de l’intervention de l’Alliance atlantique dans le pays. Patrick Haimzadeh, ancien officier de l’Armée de l’air française, revient sur le rôle de l’Otan dans le conflit libyen.

Patrick Haimzadeh a travaillé à l’ambassade de France à Tripoli durant de nombreuses années. Cet ancien officier de l’Armée de l’air française est un parfait connaisseur de la Libye. Il est ’auteur de Au cœur de la Libye de Kadhafi paru aux éditions Lattès.

Afrik.com : Comment est-ce possible que plusieurs civils aient été tués durant le conflit libyen dans des bombardements alors que l’Otan avait été mandaté par le Conseil de sécurité pour les protéger ?

Patrick HaimzadehPatrick Haimzadeh : Toute la problématique de la guerre est là. Peut-on protéger les gens en faisant la guerre ? La probabilité pour qu’il y ait des morts est élevée. Beaucoup d’erreurs ont été commises. Ce bilan n’est pas surprenant, l’Otan aurait préféré s’en passer. Il y a eu des bombardements durant le conflit sur des sites appartenant à Mouammar Kadhafi alors qu’une partie de sa famille y résidait. Une de ses petites filles a été tuée d’ailleurs. Lorsque l’on bombarde une propriété privée, on sait qu’il y a des risques de tuer des civils. En s’en prenant aux propriétés de Mouammar Kadhafi, ils se sont dit que les gains qu’ils obtiendraient seraient plus importants que le nombre de morts.

Afrik.com : Pensez-vous que l’engagement de l’Otan en Libye était nécessaire ? Y avait-il d’autres options que la solution militaire pour résoudre le conflit ?

Patrick Haimzadeh : Bien sûr, il y avait d’autres moyens de résoudre le conflit en Libye. On n’a pas essayé toutes les voies diplomatiques. Quelques semaines avant l’intervention militaire, Nicolas Sarkozy avait mis fin à toutes formes de négociations avec Kadhafi, il avait décidé qu’il ne fallait plus lui parler. Certains ont même été jusqu’à dire que Kadhafi était « fou » et qu’il valait mieux ne pas négocier avec lui. Il aurait pu y avoir d’autres solutions mais elles n’ont pas été explorées. Des pays comme l’Inde, le Brésil ou la Chine auraient pu jouer un rôle en négociant avec Kadhafi pour trouver une solution de sortie de crise. Est-ce que cela aurait marché après coup ? C’est difficile à dire.

Afrik.com : Est-ce que l’intervention de l’Otan n’a pas fait empirer la situation ? Est-ce que les Libyens auraient pu résoudre le conflit tout seuls ?

Patrick Haimzadeh : Les rebelles auraient pu négocier avec Mouammar Kadhafi et la communauté internationale aurait joué le rôle de médiateur pour que les discussions aboutissent. La solution diplomatique aurait pu éviter une guerre qui a fait entre 30 000 et 40 000 morts. Il faut savoir qu’entre fin février et fin mars les insurgés ne savaient pas encore exactement ce qu’ils voulaient. D’ailleurs, au départ, ils ne voulaient pas forcément le départ de Mouammar Kadhafi. Jusqu’à fin mars, avant l’intervention, ils étaient encore dans une logique de négociation.

Afrik.com : Pourquoi était-il nécessaire pour la France de s’engager en Libye ? L’engagement militaire n’était-ce pas avant tout un moyen pour Nicolas Sarkozy de redorer son image et rehausser sa cote de popularité ?

Patrick Haimzadeh : Avant de parler de la France, il faut d’abord parler de Nicolas Sarkozy. C’est Nicolas Sarkozy qui a décidé seul de l’engagement des troupes françaises en Libye. C’est vraiment une décision strictement personnelle. Ses conseillers n’étaient pas tous d’accord pour cette intervention. Il avait même dit d’ailleurs que s’il avait consulté le peuple, ce dernier ne l’aurait pas suivi. Intervenir en Libye relevait du prestige pour Nicolas Sarkozy qui voulait aussi oublier l’épisode de la Tunisie où la France a pendant très longtemps soutenu le régime de Ben Ali. L’intervention était aussi une façon de redorer son image un an avant les élections.

Afrik.com : Moustapha Abdeljalil, le président du Conseil national de transition (CNT), avait annoncé durant le conflit qu’il n’oublierait pas les pays qui l’ont soutenu. Ces pays en question seront-ils récompensés, étant donné que la Libye dispose de ressources pétrolières, si ce n’est pas déjà fait ?

Patrick Haimzadeh : Les paroles de Moustapha Abdeljalil n’engagent que lui. C’était une sorte de propagande du CNT. Bien sûr, il n’y a que des intérêts en jeu dans ce type de situation, mais ce sont ceux qui sont les mieux placés qui remportent les marchés. Néanmoins, je ne pense pas que ce calcul économique ait été fait par la France. Si on la compare à d’autre pays, notamment l’Italie, la France n’est pas mieux placée en Libye. Total n’est pas mieux lotie qu’une autre compagnie par exemple. D’autres pays pourraient être mis en avant par les nouvelles autorités libyennes sans qu’ils aient forcément participé à la guerre en Libye.

Afrik.com : Peut-on affirmer que la guerre en Libye a été financée par le Qatar, menée par les Etats-Unis et médiatisée par la France ?

Patrick Haimzadeh : Il n’y a pas eu une répartition des rôles. Il est vrai que le Qatar a financé les rebelles. Mais la France a mené des bombardements. Elle avait évidemment besoin des Etats-Unis, notamment sur le plan logistique. Elle n’aurait pas pu mener cette guerre seule, c’est sûr. Les Etats-Unis auraient pu intervenir seuls mais ils ont refusé. D’abord l’administration Obama n’était pas convaincue. D’autres part, les Etats-Unis étaient déjà impliqués dans deux guerres. Ils ont même contacté les rebelles pour avoir des garanties avant de s’engager.

Afrik.com : Quel rôle l’Otan a joué dans la mort de Mouammar Kadhafi ?

Patrick Haimzadeh : Il ne fait pas de doute que l’Otan avait des hommes qui traquaient Mouammar Kadhafi. Je ne dis pas que c’est l’Otan qui a tué Kadhafi. Mais sans bombardement de l’Otan, Kadhafi n’aurait pas été tué. Je ne dis pas non plus que c’est le CNT qui a donné l’ordre de le tuer car avec les mouvements de foule, ce genre de choses arrive très rapidement. En tous cas, l’issue tragique de Mouammar Kadhafi était prévisible.

Afrik.com : Les aspirations des Libyens étaient différentes des Tunisiens et des Egyptiens. Pourtant, certains médias occidentaux n’ont pas hésité à comparer la situation de la Libye à celle de l’Egypte ou de la Tunisie alors qu’il s’agit de situations très différentes…

Patrick Haimzadeh : La Libye n’était pas inscrite dans le modèle tunisien ou égyptien. Il y avait quelques points communs car beaucoup de jeunes de l’Est en Libye en avaient marre de cette dictature. Ils ne voulaient surtout pas que l’un des fils de Mouammar Kadhafi prenne le pouvoir. Ils réclamaient la liberté et l’unité dans le pays. Au départ, je le répète encore une fois, les insurgés ne savaient pas ce qu’ils voulaient. Il y a aussi une donnée fondamentale qu’il faut savoir. Kadhafi était soutenu par des régions et villages entiers, contrairement à ce que les médias ont affirmé. Toute la Libye n’était pas contre lui. Et ceux qui se battaient aux côtés de Kadhafi ne le faisaient pas parce qu’ils avaient une baïonnette dans le dos, mais parce qu’ils étaient fidèles au régime. Ils savaient que leur sort était lié au régime. En Libye, nous étions dans un schéma de guerre civile. C’est en cela que la situation de la Libye était différente de l’Egypte ou de la Tunisie.

Afrik.com : A quel moment peut-on dire que la Libye est entrée en guerre ?

Patrick Haimzadeh : On est rentré dans une guerre à partir de fin mars lorsque l’intervention étrangère a décidé de soutenir l’une des parties. Les médias ont comparé le cas de la Libye à la révolution de 1789 en France ou à la guerre d’Espagne, ce sont des schémas très simplistes et caricaturaux. Pour eux, il y avait d’un côté, les bons et de l’autre, les méchants. Beaucoup d’éditorialistes français tels que Bernard Henri Levy (BHL) ont véhiculé des informations inexactes. En réalité, la situation en Libye était beaucoup plus complexe que celle dépeinte par les médias.

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