Nigeria : opération coup de poing inédite avec plus de trente militaires écroués pour trafic d’armes et corruption


Lecture 3 min.
Armes
Armes (Illustration)

Une vaste opération anticorruption a frappé l’armée nigériane ces derniers jours : 33 militaires et policiers ont été arrêtés pour avoir revendu des armes d’État aux groupes jihadistes qu’ils étaient censés combattre. Cette affaire révèle l’ampleur d’un trafic qui alimente depuis des années l’insurrection de Boko Haram, transformant la lutte antiterroriste en un paradoxe sanglant où l’État arme involontairement ses propres ennemis. Pour le président Bola Tinubu, c’est un test décisif : prouver que sa croisade anticorruption peut aussi s’attaquer aux dérives de l’appareil sécuritaire.

Entre le 29 et le 31 mai 2025, la police militaire et les services de renseignement nigérians ont mené une série d’arrestations éclair qui a conduit à la mise en détention d’au moins 33 soldats et policiers soupçonnés d’avoir détourné des armes de l’État pour les revendre à des groupes jihadistes et des bandits ruraux. Les perquisitions ont visé plusieurs garnisons du Nord-Est, cœur de l’insurrection de Boko Haram et de l’État islamique en Afrique de l’Ouest (ISWAP).

Le quotidien Nigerian Observer précise que les suspects se répartissent en 18 soldats et 15 policiers interpellés dans le cadre de l’opération Hadin Kai (« Soutien à la cause » en haoussa), déployée depuis 2021 pour assécher les réseaux de contrebande d’armement.

Des armes de service revendues aux insurgés

D’après un rapport interne cité par Guardian Nigeria, les enquêteurs auraient saisi « plusieurs dizaines de fusils d’assaut, des caisses de munitions », ainsi que des virements bancaires reliant les militaires incriminés à des intermédiaires opérant dans les États de Borno, Zamfara et Katsina. Les premières auditions laissent penser que chaque chargeur de 30 cartouches de 7,62 mm était écoulé entre 50 000 et 70 000 nairas (55-75 €) sur le marché noir, soit plus de cinq fois le salaire mensuel d’un soldat de première classe. Un montant qui explique la forte tentation pour les militaires locaux.

Le conseiller national à la sécurité, Nuhu Ribadu, avait déjà alerté en novembre 2024 : « Une partie substantielle de l’arsenal des terroristes provient de nos propres stocks ». L’enquête préliminaire semble lui donner raison : selon le centre britannique Conflict Armament Research, près de 20 % des fusils saisis aux jihadistes du Sahel portaient des numéros de série correspondant à des lots achetés par l’armée nigériane depuis 2015.

Une corruption qui alimente la violence

Cette porosité nourrit une spirale de violence toujours plus coûteuse : près de 35 000 morts et plus de 2 millions de déplacés en quinze ans et un conflit qui ne se résorbe pas.

Si Abuja promet des tribunaux militaires expéditifs, les associations de vétérans pointent des causes structurelles : soldes payées en retard, primes de risque non versées et corruption endémique dans l’attribution des marchés de défense – un système qui, en 2024, aurait englouti plus de 3 milliards de dollars sans contrôle parlementaire effectif, dénonce les ONG comme Transparency International.

Un test politique

Le ministère de la Défense promet une première audience avant fin juin. En parallèle, un audit des arsenaux doit être mené. En effet, un inventaire physique, suspendu depuis 2019, doit être relancé dans toutes les bases terrestres.

Par ailleurs, Amnesty International exhorte Abuja à voter un texte garantissant l’anonymat des soldats dénonçant la corruption dans la chaîne logistique. « Tant qu’un fusil neuf vaudra davantage qu’une paie honnête, cette guerre restera un puits sans fond », résume une source sécuritaire jointe à Maiduguri.

Masque Africamaat
Spécialiste de l'actualité d'Afrique Centrale, mais pas uniquement ! Et ne dédaigne pas travailler sur la culture et l'histoire de temps en temps.
Newsletter Suivez Afrik.com sur Google News