Niger : l’opposition contre Tandja engagée dans « une course de fond »


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Au Niger, l’opposition ne désarme pas. Fédérée au sein d’une Coordination des forces pour la démocratie et la République (CFDR) qui rassemble de nombreux partis politiques, syndicats et associations, elle continue de contester la modification de la Constitution imposée par le président de la République, Mamadou Tandja, le 4 août, et la tenue des élections législatives le 20 octobre dernier. Ancien député du parti au pouvoir, Soumana Sanda est, depuis la dissolution de l’Assemblée nationale, président du comité de coordination régionale (Niamey) de la CFDR et membre du MODENFA (Mouvement démocratique nigérien pour une fédération africaine), le parti de l’ancien Premier ministre Hama Hamadou, sous le coup d’un mandat d’arrêt international. Afrik.com s’est entretenu avec lui, cette semaine, à Niamey, sur l’action de la CFDR et les résistances auxquelles elle doit faire face.

L’opposition nigérienne réclame le retour à l’ordre constitutionnel et le départ de Mamadou Tandja au terme de son mandat présidentiel, le mois prochain, comme l’exige la précédente Constitution. Ses deux principaux leaders, les anciens Premiers ministres Mahamadou Issoufou (PNDS, Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme), revenu à Niamey le 30 octobre, et Hama Amadou (MODENFA), toujours réfugié à l’étranger, sont sous le coup d’un mandat d’arrêt international. Mais leurs lieutenants et les autres chefs de fil de la résistance au pouvoir en place restent en première ligne. Parmi eux, Soumana Sanda, que nous avons rencontré au cours d’un meeting de la CFDR, au siège du MODENFA.

Afrik.com : Mahamadou Issoufou est rentré au Niger le week-end dernier pour faire face à la justice de son pays. Hama Amadou a-t-il l’intention de revenir lui aussi pour répondre des délits dont on l’accuse ?

Soumana Sanda :
Hama Amadou a fait l’expérience des faux dossiers et de la prison sans mobile. Il a donc pris la décision qu’il ne rentrerait pas. D’autre part, il convient de préciser qu’ils sont plus dans le collimateur du pouvoir que de la justice elle-même. Mahamadou Issoufou est là depuis le 30 octobre. Le juge d’instruction lui a notifié son mandat d’arrêt, mais il n’a pas été exécuté, c’est toujours le statu quo.

Afrik.com : Hama Amadou est accusé de blanchiment d’argent comme Mahamadou Issoufou, mais aussi du détournement de fonds publics destinés à la presse privée du Niger…

Soumana Sanda :
L’histoire nous a démontré que tout ceci rentrait dans le cadre du projet « Tazarki » (Continuité, en langue haoussa). Et cela, Hama Amadou l’avait bien développé avant d’aller en prison. Il y est resté pendant dix mois, du 26 juin 2008 au 23 février 2009. J’ai été membre de la commission ad hoc mise en accusation. A l’époque, le montant du fond d’aide à la presse a été évalué à 100 millions de francs CFA. Entre temps, et après investigation, il a été évalué à 39 millions, ce qui dénote du manque de sérieux du dossier. Et jusqu’à preuve du contraire, c’est seulement le complice du détournement qui a été poursuivi. Personne n’a jamais inquiété l’auteur, Alio Badjo Gamatié, le ministre des Finances de l’époque aujourd’hui Premier ministre…

Afrik.com : Avez-vous confiance dans la justice de votre pays ? A-t-elle pu garder son indépendance vis-à-vis du pouvoir ?

Soumana Sanda :
Les juges, au niveau de l’instruction, ont une certaine indépendance. Mais tous ceux qui ont une compétence liée, c’est à dire le parquet, le procureur qui est sous la responsabilité du Garde des sceaux, n’en ont pas. Mais les juges, oui. Moi, par exemple, j’ai été interpellé à trois reprises sur un dossier, et à chaque fois le juge m’a accordé la liberté provisoire. Nous avions appelé à un meeting, qui devait se tenir le 17 octobre dernier pour dénoncer les agissements du régime. Deux jours plus tôt, le 15 octobre, j’ai été interpellé le matin, l’après-midi, puis le 16, la veille du meeting. Ce qui est extraordinaire, c’est que les différents services de police n’ont pas les mêmes infos sur le même dossier. La police judiciaire qui m’a interpellé le 16 a été très surprise que l’on m’ait interpellé trois fois pour des choses fausses. Il lui avait été rapporté que j’appelais les gens en meeting pour prendre les armes et faire un massacre… Donc, vous imaginez, si moi à mon niveau je suis victime de montages aussi grossiers, ce qu’il peut en être pour Hama Amadou et Mahamadou Issoufou.

Afrik.com : Aujourd’hui membre de l’opposition, vous avez longtemps soutenu Mamadou Tandja…

Soumana Sanda :
J’ai été membre du MNSD (Mouvement national pour une société de développement) qui a emmené, par deux fois, en 1999 et 2004, Mamadou Tandja au pouvoir. Je l’ai soutenu en tant que militant. J’ai aussi soutenu son action en tant que parlementaire de 2000 jusqu’à la dissolution de l’Assemblée nationale cette année. J’ai été exclu du parti 12 jours avant cette dissolution. Je sais de quoi je parle. Au sein de l’hémicycle, j’ai exercé des responsabilités. J’ai été, entre autres, président de la Commission des affaires étrangères.

Afrik.com: Pourquoi, de votre point de vue, Mamadou Tandja s’accroche-t-il au pouvoir ? Les Nigériens, y compris bon nombre de ses proches au sein du gouvernement, pensaient qu’il s’en irait au terme de son mandat comme il l’avait promis. Et finalement, il est encore là…

Soumana Sanda :
Il m’est difficile maintenant de m’expliquer ce revirement de situation. Car c’est un monsieur dans lequel j’avais cru tout au long de notre traversée du désert. Mais des choses ce sont passées qui ont interpellé mon attention. L’Assemblée nationale avait estimé nécessaire de mettre en place une commission de contrôle sur la délivrance des permis de recherche miniers, juste avant la dissolution. Le pouvoir à l’époque avait tout fait, à travers ses représentants au Parlement, pour que ça ne se fasse pas. Alors, allez savoir ce qu’on veut cacher au peuple nigérien ! C’est la seule fois que l’Assemblée nationale a refusé d’exercer l’une de ses prérogatives constitutionnelles…

Afrik.com : Mamadou Tandja sera sans doute encore au pouvoir le 22 décembre prochain, terme de son mandat présidentiel selon la précédente constitution. Que compte faire l’opposition, concrètement, pour contrecarrer ses plans ?

Soumana Sanda :
Nous avons un seul objectif. Contraindre le gouvernement à revenir à l’ordre constitutionnel normal. Dès le départ, on savait que ça allait être une course de fond, et non de vitesse. Mais nous avons des atouts. Notre premier atout, c’est l’adhésion sans équivoque des populations de Niger à notre vision. Il y a une synergie des différentes forces en présence, qu’elles soient politiques, syndicales, associatives. La presse privée aussi nous soutient. Ceci représente notre premier groupe d’atouts. Le second consiste en la légalité et la légitimité de notre mouvement. Tout ce que Tandja a bâti en vue de l’avènement l’a été sur une base totalement illégale. Pour preuve, le pouvoir législatif que nous incarnions était contre son projet référendaire. La Cour constitutionnelle, qui à l’époque, était l’arbitre suprême, était contre ce projet et avait matérialisé son opposition par des avis et un arrêt qui non seulement annulait la première convocation du collège électoral pour le référendum, mais disait également qu’il n’était pas conforme à la constitution du 9 août 1999… Les populations sont restées chez elles le jour du vote. Il y a des organisations indépendantes telles que le PNUD qui ont accrédité un taux de participation de 8%, preuve supplémentaire que les populations avaient suivi le mot d’ordre de boycott donné par notre coordination.

Afrik.com : Quels types de pression le pouvoir exerce-t-il sur l’opposition ?

Soumana Sanda :
Le régime de Mamadou Tandja a adopté une attitude autoritaire. Il exerce une oppression sur les populations comme tous les régimes en mal de légitimité. On emprisonne les leaders politiques, les leaders de la société civile, les journalistes, on empêche les manifestations. Le maire (de Niamey) nous a remis mercredi copie d’une interdiction au sujet d’une manifestation que nous voulions organiser ce dimanche… Nous ne sommes pas autorisés à passer sur les médias d’Etat, ni à tenir nos réunions au niveau des locaux conçus à cet usage, tels que le Palais des congrès et la Maison de la culture.

Afrik.com : Ne craignez-vous pas, comme cela s’est vu dans beaucoup d’autres pays, qu’après quelques mois de contestation pacifique, de marches, de meetings, la contestation s’essouffle et que le pouvoir finalement reste en place ?

Soumana Sanda :
Au Niger, nous n’avons pas la culture de la violence. Mais la ténacité et la persévérance de nos populations sont à toute épreuve. Du reste, on a l’habitude de ce genre de situation. Un front de même nature avait précédé l’avènement du régime Tandja. Il s’appelait le FRDD (le Front pour la restauration et la défense de la démocratie) et avait été créé pour combattre le général Barré, qui était à la tête d’un régime de même nature que celui d’aujourd’hui.

Afrik.com: La CEDEAO, l’UA, l’ONU, ont condamné la modification de la Constitution et la tenue des législatives le mois dernier au Niger. Que pensez-vous de cette réaction de la communauté internationale ?

Soumana Sanda :
Nous estimons que la communauté internationale, dans ce combat contre le non-droit, a toujours été à nos côtés, et cela à juste titre. Quand on se réfère à la CEDEAO (la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest), par exemple, le Niger est signataire du protocole additionnel sur la gouvernance. Donc il est tout à fait normal, si les termes de ce protocole sont violés par le pouvoir à Niamey, que la CEDEAO fasse entendre sa voix. L’attitude de la communauté internationale face à la crise que traverse le Niger est globalement très satisfaisante.

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Journaliste, écrivain, dramaturge scénariste et réalisateur guadeloupéen. Franck SALIN fut plusieurs années le rédacteur en chef d'Afrik.com
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