Niger : dissolution de syndicats et radiation de magistrats, une atteinte à l’indépendance de la justice ?


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Le général Abdourahamane Tiani, chef du CNSP
Le général Abdourahamane Tiani, chef du CNSP

La crise entre le pouvoir militaire nigérien et le corps judiciaire s’approfondit. Deux semaines après la dissolution de cinq syndicats de la justice et la radiation de deux magistrats membres du Syndicat autonome des magistrats du Niger (SAMAN), les réactions continuent de fuser, dénonçant une attaque directe contre l’indépendance du pouvoir judiciaire.

Entre le régime nigérien et les magistrats, la tension est à son comble. En cause les dernières décisions des autorités de Niamey contre les acteurs du monde judiciaire.

Une ordonnance controversée

À l’origine de cette escalade, une ordonnance présidentielle « relative à la discipline des magistrats pendant la période de la Refondation ». Ce texte, adopté par le gouvernement de transition, confère au chef de l’État le pouvoir discrétionnaire de sanctionner les magistrats pour tout comportement jugé attentatoire à l’image des institutions.

Pour Me Amadou Bachir, avocat au barreau du Niger, cette disposition instaure un dangereux précédent : « C’est une attaque directe à l’indépendance de la justice, puisque l’ordonnance a un seul article qui confère au chef de l’État le pouvoir discrétionnaire de se prononcer sur la discipline des magistrats. Cela va à l’encontre des principes démocratiques et de l’État de droit », déplore-t-il.

La critique porte notamment sur la formulation ambiguë de l’ordonnance, qui évoque des notions vagues comme « faute grave » ou « comportement jetant le discrédit sur les institutions », sans les définir clairement. Une imprécision qui, selon de nombreux juristes, laisse une large marge d’interprétation et ouvre la voie à des sanctions arbitraires.

Grève illimitée, climat de défiance et condamnations internationales

En riposte, le SAMAN a lancé une grève illimitée dès la semaine dernière, paralysant une partie du système judiciaire nigérien. Cette décision marque une radicalisation du bras de fer entre magistrats et exécutif, dans un contexte où la méfiance s’accroît à l’égard du régime du général Abdourahamane Tiani au pouvoir depuis le coup d’État de juillet 2023. Les radiations récentes de deux magistrats membres du SAMAN sont perçues comme un signal d’intimidation envoyé à l’ensemble du corps judiciaire.

L’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits humains – qui regroupe la FIDH (Fédération internationale pour les droits humains) et l’OMCT (Organisation mondiale contre la torture) – a vivement dénoncé ces mesures. Dans un communiqué, l’organisation estime que la dissolution des syndicats et les radiations « constituent de graves atteintes aux libertés fondamentales, à la séparation des pouvoirs et à l’indépendance de la justice ». Elle appelle les autorités nigériennes à « revenir sur ces décisions arbitraires ».

Une tendance à l’autoritarisme ?

Depuis la prise du pouvoir par le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP) dirigé par le général Abdourahamane Tiani, plusieurs voix dénoncent une immixtion croissante de l’exécutif dans les affaires judiciaires. Des cas d’arrestations arbitraires ont été documentés, dont celui de Moussa Tchangari, figure de la société civile et défenseur des droits humains, détenu depuis plus de huit mois pour ses critiques contre le régime. Pour les observateurs, la dissolution des syndicats et l’ordonnance présidentielle traduisent une volonté des autorités de museler les contre-pouvoirs. Ceci, alors que le général Tiani a été investi en mars dernier pour un mandat de cinq ans renouvelable.

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Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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