Nedroma : le joyau andalou d’Algérie candidat au patrimoine mondial de l’UNESCO


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Nedroma
Nedroma

Perchée à 420 mètres d’altitude sur les flancs verdoyants du djebel Filaoussen, Nedroma se dresse comme une sentinelle millénaire veillant sur le massif des Trara. Cette cité historique, située à seulement 77 kilomètres au nord-ouest de Tlemcen, incarne à elle seule des siècles d’histoire où se mêlent influences berbères, arabes et andalouses. Surnommée « la perle des Trara », elle constitue aujourd’hui l’un des joyaux patrimoniaux les plus précieux d’Algérie, candidate à l’inscription sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO.

L’histoire de Nedroma commence bien avant sa fondation officielle en 1150. Dès le IXe siècle, le géographe arabe El-Ya’qûbî mentionne « la grande cité de Falusan« , identifiée comme l’ancêtre de l’actuelle Nedroma. Mais c’est Abdelmoumen Ben Ali, le puissant fondateur de la dynastie almohade, qui transforme cette ancienne bourgade berbère en véritable capitale régionale.

Le choix de ce site n’est pas fortuit. Nedroma occupe une position stratégique exceptionnelle : protégée naturellement par les montagnes, alimentée par des sources abondantes, elle domine une plaine fertile donnant accès à la Méditerranée toute proche – à peine 20 kilomètres la séparent du port de Ghazaouet. Cette situation privilégiée en fait rapidement un carrefour commercial incontournable entre le Maghreb central et l’Andalousie.

L’empreinte andalouse : un refuge pour les exilés d’al-Andalus

Si Nedroma doit son développement initial aux Almohades, c’est véritablement l’arrivée massive de réfugiés andalous qui forge son identité unique. À partir du XVe siècle, fuyant la Reconquista espagnole, des milliers de musulmans et de juifs trouvent refuge dans cette cité accueillante. Cette première vague migratoire s’intensifie dramatiquement après 1609, lorsque le décret d’expulsion de Philippe III contraint entre 300 000 et 500 000 Morisques à l’exil.

Ces nouveaux arrivants ne viennent pas les mains vides. Ils apportent avec eux un savoir-faire exceptionnel, des techniques artisanales raffinées et une culture artistique brillante. L’historien espagnol Guillermo Rittwagen, visitant la ville au début du XXe siècle, ne s’y trompe pas : « Sur le chemin de Nemours à Maghnia, aux pieds même du mont Fillaoucène, se lève la cité d’où j’envoie ces lignes, et qui bien qu’elle soit algérienne, conserve son caractère morisque comme aucune et est la vraie métropole des Arabes andalous expulsés d’Espagne. »

Un patrimoine architectural d’exception

La Grande Mosquée : joyau de l’art almoravide est le monument emblématique de Nedroma. Elle constitue l’un des trois seuls témoignages almoravides subsistant en Algérie, avec les grandes mosquées d’Alger et de Tlemcen. Construite en 1081 sous le règne de Youssef Ibn Tachfine, elle impressionne par son plan harmonieux : une salle de prière rectangulaire de 28,30 mètres de long sur 20 mètres de large, divisée en neuf nefs perpendiculaires au mur de la qibla.

La Grande Mosquée de Nedroma
La Grande Mosquée de Nedroma

Si sa conception générale s’inspire des grandes mosquées andalouses comme celle de Cordoue, elle intègre des éléments locaux qui en font une œuvre unique. Le minaret, ajouté en 1348 par l’architecte Muhammad al-Sîsî, constitue un chef-d’œuvre de l’art zianide avec son décor géométrique en briques et ses plaques de marbre finement sculptées.

Au-delà de la Grande Mosquée, Nedroma abrite un patrimoine religieux d’une densité exceptionnelle. La mosquée de Sidi Bou Ali et celle de Ben Aoufine aux coupoles multiples témoignent de la vitalité spirituelle de la cité. Mais ce sont surtout les innombrables koubas – ces mausolées abritant les tombes de saints et de savants – qui donnent à Nedroma son caractère sacré particulier. Ces édifices, disséminés dans toute la ville et ses environs, constituent autant de lieux de pèlerinage et de dévotion populaire.

L’architecture domestique : un art de vivre andalou

L’influence andalouse se lit surtout dans l’architecture domestique de Nedroma. Les maisons traditionnelles, organisées autour de patios intérieurs ornés de fontaines, reproduisent le modèle des demeures grenadines ou sévillanes. Les façades colorées – déclinant une palette allant du bleu au vert en passant par le blanc et le brun – créent un paysage urbain d’une beauté saisissante.

L’organisation spatiale de la médina révèle elle aussi cet héritage : un dédale de ruelles sinueuses et étroites, ponctuées de multiples impasses, dessine un tissu urbain typiquement andalou. Les quatre quartiers traditionnels, dont deux dédiés aux activités artisanales, conservent leur fonction d’origine, perpétuant un mode de vie séculaire.

Nedroma, capitale du textile et des arts

Au XVIe siècle, Nedroma connaît son apogée économique en devenant l’un des principaux centres textiles du Maghreb. Léon l’Africain, visitant la ville à cette époque, attribue explicitement sa richesse « au grand nombre de ses tisserands« . La production de tissus de coton et de couvertures de laine fait la renommée de la cité bien au-delà des frontières régionales.

Cette tradition textile perdure sous la domination turque, les autorités ottomanes exigeant de la ville la fourniture annuelle de centaines de pièces d’étoffe pour l’armée. Si cette obligation représente un lourd tribut, elle témoigne aussi de la qualité reconnue de la production locale.

Un conservatoire vivant de la musique andalouse

Mais c’est peut-être dans le domaine musical que l’héritage andalou de Nedroma s’exprime avec le plus d’éclat. La ville reste aujourd’hui l’un des principaux centres de la musique arabo-andalouse en Algérie, perpétuant les traditions du hawzi et du madih. Des générations de maîtres musiciens s’y sont succédé, transmettant un répertoire précieux venu directement de Grenade et de Séville.

Les grandes familles nedromiennes ont joué un rôle crucial dans cette transmission. Mohamed Remaoun (1833-1919), mystique, poète et musicien, ou plus récemment El Hadj Mohamed El Ghaffour, ont maintenu vivante cette tradition séculaire. Les orchestres de Nedroma continuent d’interpréter les noubas andalouses avec une authenticité qui fait autorité dans tout le Maghreb.

Les Trara : un écrin naturel d’exception

massif des Trara
massif des Trara

Nedroma ne peut se comprendre sans son environnement naturel exceptionnel. Le massif des Trara, qui culmine à 1 136 mètres au djebel Filaoussen. Cette chaîne montagneuse, dernier prolongement occidental de l’Atlas tellien avant la frontière marocaine, abrite une biodiversité remarquable.

Les botanistes ont recensé dans les Trara plus de 558 espèces végétales appartenant à 87 familles. Parmi elles, de nombreuses espèces endémiques témoignent de l’originalité de cet écosystème méditerranéen. Les forêts de pins et de cyprès, les oliveraies séculaires et les jardins en terrasses composent un paysage d’une beauté saisissante. Abdelaziz Bouteflika, ancien président de la République algérienne, reste l’une des figures politiques majeures issues de cette terre.

La candidature UNESCO : un projet mobilisateur

L’inscription de « Nedroma et les Trara » sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO constitue un projet mobilisateur capable de redonner aux Nedromiens la fierté de leur héritage et de susciter une dynamique de préservation et de valorisation.

La reconnaissance UNESCO pourrait également ouvrir la voie à un développement touristique respectueux et durable. Nedroma possède tous les atouts pour devenir une destination culturelle de premier plan : un patrimoine architectural exceptionnel, des traditions vivantes, un environnement naturel préservé et une population hospitalière.

Nedroma, « La perle des Trara » incarne un modèle unique de synthèse culturelle réussie entre ses racines berbères millénaires, son développement sous les dynasties musulmanes médiévales et l’apport décisif des réfugiés andalous. Elle a su créer une identité propre, à la fois ancrée dans son terroir maghrébin et ouverte sur la Méditerranée.

Nedroma est comme un livre ouvert où chaque pierre raconte une histoire, chaque ruelle murmure un poème, chaque maison chante une mélodie venue d’Andalousie. Puisse ce livre rester ouvert et continuer d’enrichir le patrimoine commun de l’humanité.

Masque Africamaat
Kofi Ndale, un nom qui évoque la richesse des traditions africaines. Spécialiste de l'histoire et l'économie de l'Afrique sub-saharienne
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