Mort des élèves africains de Saint-Cyr : la grande muette condamnée


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Les deux officiers responsables du stage d’aguerrissement en montagne qui a coûté la vie à deux élèves africains de Saint-Cyr, en 2004, en France, ont été condamnés mercredi à de la prison avec sursis. Raides comme leur institution, Christian Heintz et Pascal Lefebvre n’ont pas regretté leurs décisions durant cette expédition jugée « déraisonnable » par un expert de haute montagne.

« Ce verdict reconnaît ma responsabilité tout en maintenant mon intégrité en tant qu’officier et en tant que montagnard. A ce titre, j’estime aujourd’hui que la justice de mon pays a été à la hauteur de la confiance que l’on peut lui accorder ». Froide, technique, rigide. L’attitude du lieutenant-colonel Christian Heintz, 43 ans, durant son procès pour homicides et blessures involontaires, est résumée dans cette déclaration. Il s’est ainsi exprimé mercredi, après avoir été condamné à 9 mois de prison avec sursis pour sa responsabilité dans le déroulement dramatique d’un « exercice d’aguerrissement », dans la nuit du 12 au 13 janvier 2004, près du col de Restefond, dans les Alpes-de-Haute-Provence, qui avait coûté la vie à deux élèves nigérien et togolais de Saint-Cyr.

Le capitaine Pascal Lefebvre, 46 ans, chef du stage, a été condamné pour sa part à 6 mois de prison avec sursis. Comme Christian Heintz, àl’époque commandant au centre d’instruction et d’entraînement au combat en montagne (CIECM) de Barcelonnette, il écope d’une amende de 1 400 euros au titre des blessures dont ont été victimes sept autres élèves. Mais au contraire de son supérieur, Pascal Lefebvre a indiqué par la voix de son avocat qu’il réfléchissait à la « possibilité de faire appel ». Seul le capitaine Christian Le Bras, 52 ans, qui suivait l’exercice depuis la caserne, a été relaxé. Le parquet a lui-même admis qu’il ne bénéficiait pas des informations qui auraient pu lui permettre de s’opposer aux décisions de MM Heintz et Lefebvre.

Les Africains ont «un instinct de survie moins développé que les Européens»

Ce 12 janvier 2004, devant le mauvais temps, Christian Heintz décide de modifier le programme des 91 élèves de l’Ecole spéciale militaire de Saint-Cyr qui s’étaient élancés pour trois jours d’exercice sur le col de Restefond. Plutôt que de bivouaquer, le lieutenant veut continuer en raquette jusqu’au sommet du col de haute Haute-Ubaye pour dormir dans les casernes. Ce qui signifie pour les officiers épuisés, dont certains n’avaient jamais vu la neige, faire en un jour ce qui était prévu de faire en deux.

« Décision incohérente, déraisonnable», affirme François Le Ray, un expert en montagne, cité par le journal Libération. Pourquoi ne pas avoir annulé l’exercice, comme une autre compagnie l’a fait ? « Cette idée ne m’est pas venue à l’esprit», explique le lieutenant Heintz. Durant le procès, le procureur fait état de défaillances et du refus de laisser l’une des trois sections, qui le réclamait, faire demi-tour…« Un petit coup de pompe réglé en dix minutes », corrige le capitaine Pascal Lefebvre. Ce n’est qu’à 17h30 que les responsables décident de s’arrêter pour bivouaquer. Il fait -7 degrés mais avec un vent à près de 100Km/h, le froid est plutôt ressentit autour de -30 degrés. Laouali Karimoune décède le premier, à 23h15, avant que Kondi Nandja, le fils du chef d’état-major des armées du Togo, dans « une phase de délire », ne succombe à son tour.

« Ces deux officiers ne se sont pas alimentés correctement. On oublie la responsabilité individuelle de chacun. Ils devaient se protéger», a expliqué le capitaine Lefebvre durant le procès, niant toute culpabilité. Un gradé a même tenté d’expliquer que les Africains ont « un instinct de survie moins développé que les Européens ».

« Si c’était à refaire, est-ce que vous changeriez quelque chose ? » demande le procureur Brice Robin. « Non, répond le capitaine Lefebvre. Si je changeais quelque chose, je remettrais en cause mes décisions. Or, si j’ai pris ces décisions, c’est que je pense que c’étaient les meilleures.» Au contraire, pour le procureur de la République, suivi par le juge, « cet accident s’explique par une succession de décisions prises dans le mauvais sens ». Seule la famille de Laouali Karimoune s’est portée partie civile dans cette affaire.

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