Média Tropical dans la tourmente


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Un bras de fer s’est engagé pour l’obtention de la fréquence 92.6 FM qu’occupe la plus importante radio antillaise de l’Hexagone, Média Tropical, qui émet sur tout le bassin parisien. Face à face, deux anciens amis, l’animateur et homme d’affaire Claudy Siar et l’actuel PDG de Média Tropical, Daniel Valminos. Afrik.com s’est entretenu avec les principaux protagonistes de cette affaire.

Depuis quelques mois déjà, le bruit courait à Paris, dans le milieu afro-antillais, que la radio Média Tropical traversait des difficultés financières dont la gravité allait jusqu’à menacer son existence. La coupure d’antenne qu’elle a connue entre le mardi 6 et le vendredi 9 mars est venue renforcer cette rumeur, que Daniel Valminos, le PDG de la radio, s’est efforcé de battre en brèche en direct dans les émissions Faitout Caraïbe et Danmjann ka du dimanche 11 mars. Deux jours plus tard, l’animateur et businessman guadeloupéen, Claudy Siar, déclarait dans une interview publiée sur le site Grioo.com sous le titre Claudy Siar veut racheter la fréquence de Média Tropical, qu’il se tenait sur les rangs pour reprendre la fréquence de la radio antillaise la plus importante de l’Hexagone. En effet, cette année, l’autorisation quinquennale d’émettre accordée par le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) vient à son terme. Toutes les fréquences attribuées ou reconduites en 2002 seront remises en question afin de faire place, éventuellement, à de nouvelles radios.

Contacté par Afrik.com, Claudy Siar a tenu à préciser qu’il n’avait pas l’intention de racheter Média Tropical, dont il a été directeur des programmes entre 1995 et 1999, mais d’obtenir l’attribution de la fréquence sur laquelle elle émet pour créer sa propre radio. « Je ne veux pas racheter Média Tropical, c’est une fausse info. Je ne sais pas d’où vient ce bruit. Peut-être de Média Tropical même ? », a-t-il déclaré. Il a ajouté qu’avant d’élaborer ce projet, sa première démarche a été de se rapprocher, il y a quelques mois, des responsables de la radio dont il connaissait les difficultés, et de leur proposer des solutions pour la « sauver ». Mais n’ayant pas reçu de réponse satisfaisante, il a pris la décision de déposer une candidature au CSA. « J’ai créé une société et déposé un dossier très clair au CSA pour obtenir une fréquence qui appartient à l’Etat. Et d’autres radios comme Média elle-même l’ont fait. Je sais qu’au moins quatre dossiers ont été déposés pour cette fréquence », nous a-t-il dit.

Rumeurs et coups bas…

Daniel Valminos a une lecture des événements fort différente. Pour lui, « Claudy Siar tente d’être le fossoyeur de la radio, simplement par jalousie et par envie », et le fait qu’il ne jette pas son dévolu sur d’autres fréquences afro-antillaises de la région parisienne est révélateur. « Pourquoi ne veut-il pas reprendre Africa n°1 alors qu’il se dit l’Africain des Antilles ? Pourquoi ne veut-il pas prendre Espace FM dont le directeur n’est pas Antillais et dit clairement qu’il ne s’intéresse pas à la communauté ? », s’est-il interrogé. Daniel Valminos reconnaît toutefois que Claudy Siar l’a approché il y a quelques mois pour rentrer dans le capital de la radio, lequel s’élève à 300 000 €, et qu’il a entamé des négociations : « Média Tropical n’était pas à vendre, mais j’étais prêt à étudier des formules pour la redynamiser. » Selon Alice Catoire, la directrice de l’information de Média Tropical, les pourparlers ont échoué parce que les prétentions de l’animateur-producteur étaient trop élevées : « Claudy a voulu entrer dans le capital de la radio, mais il voulait être majoritaire. Ceci dit, refuser sa demande n’est pas un acte de guerre ! »

Cependant, pour Daniel Valminos, c’est bien une guerre que lui a déclarée Claudy Siar depuis l’échec de ces négociations. Et pour lui, l’interruption d’antenne qu’a connue la radio entre les 6 et 9 mars est à mettre au compte des manœuvres de l’animateur. Mais ce dernier garantit n’avoir aucune intention malveillante à l’égard de Daniel Valminos qu’il considère toujours comme « un grand frère » : « Daniel le sait, il n’y a pas de coup de couteau dans le dos. Si Media a été coupée, c’est parce qu’il avait des problèmes avec ses créanciers, ce n’est pas parce que je lui en veux », puis il a ajouté que « quand vous avez des difficultés avec vos annonceurs, avec la Sacem, avec l’Urssaf… c’est que rien ne va plus ! » Claudy Siar nous a déclaré que, par pudeur, il ne relaterait pas « les impasses dans lesquelles se trouve la radio », mais a affirmé que « la situation de Média Tropical est terrible ! », et que ça lui fait « mal au cœur de voir que la radio est dans cet état. »

Dossier contre dossier

Pour les dirigeants de Média Tropical, la situation financière de leur société n’a rien de catastrophique ni d’exceptionnel, les problèmes budgétaires étant récurrents dans la presse comme l’illustrent les récentes difficultés de Libération. « Les bilans des années 2004 et 2005 ont certes été difficiles, mais le dernier est bon, notre résultat net est positif. De plus, notre audience a augmenté cette année, elle est aujourd’hui de 2.6 », nous a affirmé Alice Catoire. Selon cette dernière, en dépit des difficultés de trésorerie que connaît la radio, le CSA attribuera de nouveau la fréquence 92.6 à l’équipe actuelle, pour la troisième fois depuis la naissance de Média Tropical en 1992, car « les renouvellements se font quasi naturellement, sauf catastrophe. À tel point qu’en 2002, une radio communautaire en redressement a été renouvelée. »

Claudy Siar, pour sa part, croit fermement aux chances de son dossier : « Mon projet est celui que tout le monde attend. Je pense que les énergies réunies autour sont bénéfiques pour notre communauté et l’ensemble français. » Il place son ambition au-delà des basses querelles et justifie sa démarche par le fait qu’aujourd’hui il se sent prêt à mettre ses compétences, son carnet d’adresse et ses capitaux au service d’une radio qui élèverait sa communauté, ce que n’aurait plus les capacités de faire la direction actuelle. « La situation économique de notre communauté est catastrophique. Or, cette radio aurait dû permettre que tout un milieu économique, en plus du culturel, se développe. C’est ce que j’aimerais faire. (…) Daniel Valminos a fait un travail énorme, mais il faut savoir passer la main. »

À qui profite le crime ?

Pour Alice Catoire, cette brouille entre les responsables de Média Tropical et son ancien directeur des programmes ne devrait être que passagère. « Il y avait des liens affectifs entre nous. J’espère qu’ils perdureront. Prenez ça comme une querelle familiale. » Mais Daniel Valminos est beaucoup plus catégorique lorsqu’il évoque son ex-collaborateur et ses capacités de manager :« Claudy Siar n’a pas de leçon de gestion à me donner ! (…) Ces enfants-là veulent donner des leçons aux gens parce qu’ils pensent que seule la parole suffit. » Et retournant contre l’animateur un reproche qui lui a souvent été fait, le PDG martiniquais avance que ce dernier a pour seul objectif de « mettre la radio au service de ses ambitions personnelles. »

Pour Claudy Siar, « actuellement, Daniel Valminos est dans la victimisation. C’est ridicule. Il devrait arrêter et faire preuve d’un peu plus de dignité. » L’animateur affirme que ses affaires sont florissantes et qu’elles se développent en dépit du boycott que lui inflige Média Tropical. Il en tient pour preuve le prochain lancement de la Star Academy Afrique dont il est le producteur exécutif. Et se voulant détaché quant à l’issue du bras de fer qui l’oppose à Daniel Valminos, l’animateur déclare : « quoiqu’il se passe, j’aurai au moins gagné une victoire, celle d’avoir voulu changer les choses. »

Claudy Siar ? Daniel Valminos ? Ou un autre candidat inconnu à ce jour ? Le CSA devrait donner les résultats de son expertise d’ici deux mois. La Fréquence 92.6 est un symbole depuis la libéralisation de la bande FM et un point d’ancrage pour la communauté antillaise et « domienne » en France. Alors que les espaces d’expression et de libre parole sont si peu nombreux pour les minorités dans l’Hexagone, gageons qu’au bout du compte la rivalité entre les deux hommes n’aboutira pas à la disparition pure et simple du média.

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Journaliste, écrivain, dramaturge scénariste et réalisateur guadeloupéen. Franck SALIN fut plusieurs années le rédacteur en chef d'Afrik.com
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