Mauritanie : vers une réparation historique pour les victimes des violences ethniques


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Drapeau de la Mauritanie
Drapeau de la Mauritanie

Trente-cinq ans après les violences ethniques de 1989-1991, la Mauritanie s’engage sur la voie de la réparation. Le gouvernement a proposé un plan d’indemnisation de 27 milliards d’anciennes ouguiyas pour les victimes et leurs familles. Une initiative historique, saluée comme un pas vers la réconciliation nationale, mais jugée incomplète sans vérité ni justice.

La Mauritanie semble prête à tourner une page sombre de son histoire. Le gouvernement de Nouakchott a proposé le versement de plus de 27 milliards d’anciennes ouguiyas (environ 59 millions d’euros) pour indemniser les victimes des violences ethniques survenues entre 1989 et 1991. Cette initiative marque un tournant dans la reconnaissance officielle d’un drame longtemps enfoui dans la mémoire collective du pays.

Selon le média Trust Magazine, une première tranche d’indemnisation est sur le point d’être débloquée. La mesure fait suite à plusieurs concertations entre l’État et les représentants des victimes, dont les négociations se sont intensifiées au cours des derniers mois.

Les blessures d’un passé encore douloureux

Les violences de 1989 avaient éclaté à la suite d’un différend frontalier entre éleveurs mauritaniens et agriculteurs sénégalais, dégénérant en un conflit ethnique d’une rare intensité. Des milliers de morts furent recensés, tandis que des dizaines de milliers de ressortissants afro-mauritaniens furent expulsés ou contraints à l’exil, notamment vers le Sénégal et le Mali.

Entre 1989 et 1991, la crise a fracturé le tissu social du pays, creusant un fossé durable entre les communautés. Les relations diplomatiques entre la Mauritanie et le Sénégal furent même rompues pendant plusieurs années.

Aujourd’hui encore, les rescapés et leurs descendants continuent de porter le poids de ces tragédies. Pour beaucoup, l’indemnisation annoncée par le gouvernement représente un espoir de reconnaissance et de réparation, même tardive.

Un accord salué, mais jugé insuffisant par certains

Pour les représentants des victimes, cette proposition d’indemnisation est l’aboutissement d’un long combat. « Les négociations ont duré longtemps. Nous avions demandé 35 milliards d’anciennes ouguiyas pour solder le passif humanitaire. L’État en propose un peu plus de 27 milliards. C’est une base de discussion que nous devons soumettre aux ayants droit », explique Lo Souleymane, l’un des acteurs des pourparlers.

De son côté, Ousmane Lo, président de la coordination des victimes, a confirmé que le gouvernement avait donné son accord de principe pour entamer les versements. La rencontre tenue à El Mina, dans la capitale Nouakchott, a réuni survivants, ayants droit et responsables politiques, parmi lesquels le député Khally Mamadou Diallo, qui a salué « une démarche de réconciliation nationale et de justice ».

Des voix s’élèvent pour exiger vérité et justice

Mais si l’État avance sur le terrain de la réparation financière, de nombreuses associations de victimes dénoncent une approche incomplète du problème. Pour elles, l’argent ne peut suffire à apaiser la douleur sans une véritable reconnaissance des faits.

« Tout ce que nous demandons, c’est que justice soit faite et que la lumière soit faite sur cette tragédie. L’argent ne nous intéresse pas si la vérité n’est pas dite sur les massacres », déclare Maimouna Alpha Sy, présidente du Collectif des veuves et orphelins de Mauritanie. Elle réclame la création d’une commission d’enquête indépendante pour établir les responsabilités et permettre un véritable travail de mémoire.

Pour l’État mauritanien, cette indemnisation représente un pas décisif vers la réconciliation nationale, près de 35 ans après les événements. Toutefois, la réussite de cette démarche dépendra de sa transparence, de son équité et de sa capacité à répondre aux attentes de justice exprimées par les victimes.

Maceo Ouitona
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Maceo Ouitona est journaliste et chargé de communication, passionné des enjeux politiques, économiques et culturels en Afrique. Il propose sur Afrik des analyses pointues et des articles approfondis mêlant rigueur journalistique et expertise digitale
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