Mauritanie : la montée de l’extrémisme religieux, une menace pour un régime islamique tolérant


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L’attaque de l’ambassade d’Israël en Mauritanie le 1er février et les deux attentats, très médiatisés, de décembre dernier pourraient remettre en question le projet des nouvelles autorités d’instaurer une République islamiste moderne et tolérante.

Selon les Mauritaniens, ces attaques sont le symptôme d’une radicalisation progressive de la société, visible depuis le coup d’Etat de 2005, qui a mis fin à une succession de régimes répressifs et a porté au pouvoir un gouvernement de réformateurs.

« Le sentiment religieux en Mauritanie est devenu plus fort [depuis le coup d’Etat], comme dans beaucoup de pays arabes », a expliqué le professeur Yahya Ould Al-Bara, anthropologue à l’université de Nouakchott.

Lors de la dernière attaque, la façade de l’ambassade d’Israël à Nouakchott – lieu de fréquentes manifestations contre la politique d’Israël au Moyen-Orient – a été mitraillée à l’aube. Trois personnes, qui sortaient d’une discothèque proche de l’ambassade, ont été blessées.

En décembre, quatre touristes français et trois soldats mauritaniens avaient été abattus par des hommes accusés d’appartenir au groupe terroriste Al-Qaïda au Maghreb islamique.

Les Mauritaniens sont traditionnellement des musulmans sunnites tolérants qui, de 1984 à 2005, sous le régime du président Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya, ont été contraints d’observer la pratique officielle de l’Islam définie par le gouvernement.

À l’époque, les mouvements islamistes étaient perçus comme une menace politique et les militants présumés étaient sévèrement réprimés. En parallèle, la Mauritanie s’efforçait de mener une politique favorable aussi bien aux investissements arabes qu’américains, devenant en 1999 le seul pays de la région du Maghreb à entretenir des relations diplomatiques avec l’Etat d’Israël.

En 2005, le président Ould Taya est renversé par un coup d’Etat militaire, et en mars 2007, après une période de régime militaire, le pays organise ses premières élections démocratiques en 47 ans d’indépendance, élections remportées par Ould Sidi Mohamed Cheikh Abadallahi, qui devient président de la république.
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M. Abdallahi a le mérite d’instaurer un régime islamiste plus tolérant et ouvert. Il autorise à nouveau la constitution d’associations et la création d’un parti politique islamique, le Rassemblement national pour la réforme et le développement (RNRD).

Un changement progressif

Avant les derniers attentats, certains observateurs avaient constaté un changement progressif dans la vie du pays, notamment une augmentation spectaculaire du budget du ministère des Affaires islamiques, qui a été porté à 12 millions de dollars américains en 2008, et du nombre de mosquées, qui est passé de 58, en 1989, à plus de 900 aujourd’hui, selon les recherches de M. Al-Bara.

« Je me rappelle, il y a 20 ans, pendant le Ramadan [le mois saint musulman], personne ne jeûnait, mais aujourd’hui tout le monde le fait sinon c’est mal vu », a confié à IRIN un haut cadre de l’administration. « On voit aussi des femmes qui sont plus voilées et des barbes plus longues. On a laissé tout cela se développer, sans s’en rendre compte ».

De plus en plus de foyers utilisent la télévision par satellite –omniprésente dans toutes les régions de ce vaste pays du Sahara, notamment dans les bidonvilles qui ceinturent le centre-ville sablonneux de Nouakchott – pour capter des chaînes arabes diffusant des débats sur le sens du Djihad [la guerre sainte] et des analyses sur le parcours d’Oussama Ben Landen, ont indiqué des Mauritaniens.

De leur côté, les islamistes font régulièrement campagne sur Internet pour dénoncer un certain laxisme de la société et en 2006, prétextant que le concours « Miss Mauritanie » était contraire à la Charia, ils ont fait pression sur le gouvernement, qui a finalement annulé la cérémonie.

Selon Ahmed Ould Sabar, vice-imam de la mosquée de Charoufa, à Nouakchott, la population est réceptive au discours sans équivoque des terroristes, et certains jeunes partent même à l’étranger pour s’entraîner et combattre.

« Il ya des jeunes […] qui veulent aller faire le Djihad. Mais c’est notre devoir de les recadrer », a-t-il dit.

Selon une source bien placée, le groupe terroriste Al-Qaïda au Maghreb islamique est accusé d’avoir recruté des jeunes activistes mauritaniens dans ses camps d’entraînement du Sahara, une pratique devenue plus courante depuis la démocratisation du pays.

Le chômage

Pour le professeur Al-Bara de l’université de Nouakchott, cette poussée de ferveur religieuse s’explique en partie par l’afflux de populations nomades des zones rurales vers la capitale, ce qui a conduit bon nombre d’entre elles à se regrouper pour la première fois, et par le taux élevé de chômage, de nombreux hommes passant leur journée à boire du thé ou à la mosquée.
Photo: Nicholas Reader/IRIN
Selon les statistiques 2006 de la Banque mondiale, les deux tiers de la population en âge de travailler sont au chômage et près de la moitié des Mauritaniens vit dans la pauvreté.

« Avec la détribalisation de la société dans les villes, les jeunes ont perdu leurs repères. La religion devient un refuge dans lequel ils tentent de trouver des réponses à leurs questions, ce qui les rend vulnérables au discours des extrémistes », a expliqué M. Al-Bara.

Pour Madou Fall, jeune rappeur de 27 ans bien connu en Mauritanie, le chômage est en train de transformer cette génération de jeunes mauritaniens en adultes révoltés et aliénés, car en Afrique de l’Ouest, du Nigeria à la Côte d’Ivoire, les milices, les armées de rebelles et les gangs de criminels sont essentiellement constitués de jeunes sans emploi.

« Y a pas de boulot, même quand tu sors de [l’école] avec des diplômes ; tu n’as rien, on n’a pas de place dans la société », a explique M. Fall. « C’est normal que certains se tournent vers l’extrémisme ».

À cheval entre deux cultures, celles de l’Afrique noire et de l’Afrique du Nord musulmane, les communautés mauritaniennes entretiennent des relations tendues, marquées par une tradition selon laquelle les arabes ont des esclaves noirs, une pratique longtemps en vigueur dans ce pays et abolie en 1981. L’héritage de l’esclavage en Mauritanie représente un aspect important, marquant et douloureux de l’histoire de la communauté noire qui peut constituer un terreau fertile pour les groupes terroristes, a prévenu l’organisation non-gouvernementale (ONG) internationale Crisis Group.

Comment régler la question

La poussée éventuelle de l’extrémisme pourrait confronter le premier gouvernement démocratique de la Mauritanie au choix suivant : réduire certaines libertés civiles accordées par les nouvelles autorités mauritaniennes, réprimant ainsi les mouvements extrémistes pour protéger les modérés, ou prendre le risque de laisser se développer l’extrémisme islamique.

« Le gouvernement est pris en étau entre une demande de répression soudaine et une politique d’ouverture », a indiqué un diplomate étranger en poste à Nouakchott, sous le couvert de l’anonymat.

Et certains membres du nouveau et de l’ancien gouvernements poussent le président Abdallahi à prendre des mesures pour réduire les libertés publiques.

« On est passé d’un extrême à l’autre. La démocratie a ses limites et elle ne doit pas permettre n’importe quoi, surtout lorsque les faits sont connus », avait déclaré un ancien ministre du président Ould Taya, avant l’attentat de l’ambassade israélienne.

Il reste que deux des assassins présumés des quatre touristes français figuraient parmi les extrémistes libérés par la justice à l’issue d’un procès demandé par le gouvernement de M. Abdallahi, une décision dont l’opposition se sert comme d’une arme politique contre les autorités mauritaniennes.

Néanmoins, le président, qui avait promis dans son discours d’investiture de combattre « sans pitié » les terroristes et les criminels, minimise la menace d’une expansion du terrorisme et maintient qu’il ne pliera pas sous la pression des partisans d’une restriction des libertés publiques.

« Je comprends le mécontentement d’une partie de l’opinion publique », a-t-il déclaré le 23 janvier dans un entretien accordé au quotidien français Le Monde. « Nous faisons du mieux que nous pouvons en évitant de tomber dans la démagogie. Je peux vous dire que des pressions s’exercent sur moi pour restreindre les libertés publiques. Je m’y refuse ».

Et lorsque le journaliste du quotidien français lui demande s’il regrette la décision de libérer les deux prisonniers, le président Abdallahi lui répond : « Quand nous sommes arrivés au pouvoir en 2007, il y avait des gens qui croupissaient en prison depuis plus de deux, sans jugement […] Le système démocratique que nous essayons de mettre en place ne pouvait pas l’accepter ».

Le choix de l’action terroriste

Le dernier acte terroriste d’envergure imputé aux terroristes islamiques en Mauritanie a été perpétré en juin 2005 dans le nord-est du pays et a fait 15 morts et 39 blessés dans les rangs de l’armée.

Photo: Nicholas Reader/IRIN
« Comparé à ce qui se passe ailleurs dans le monde, on ne peut pas dire que la Mauritanie est devenue un pays de prédilection pour les terroristes », a déclaré M. Abdallahi au journaliste de Le Monde.

Malgré tout, les autorités mauritaniennes reconnaissent que les menaces internes pourraient s’amplifier.

Hindou Mint Amina, conseillère chargée de la Communication auprès du Premier ministre, reconnaît elle aussi qu’il y a une radicalisation du discours chez les jeunes, mais elle estime qu’une expression violente dans un cadre organisé n’est pas encore d’actualité.

« Je n’exclue pas l’idée que cela soit possible un jour », a-t-elle prévenu.

Mais pour le professeur Al-Bara, la sonnette d’alarme est tirée.

« Nous devons mener un débat de fond sur la question de l’action religieuse […] Sinon, le discours de Ben Laden risque d’être de plus en plus en vogue [en Mauritanie] ».

Droit photo IRIN

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