Maroc : le RNI de Mezouar doit « planter ses exigences » avec le PJD de Benkirane


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L’opposant marocain Mehdi Bensaïd, jeune député du Parti Authenticité et Modernité (PAM), donne son avis sur la crise politique au Maroc. Pour Afrik.com, il revient aussi sur l’affaire du pédophile Daniel Galvan, sur la situation économique du royaume et ses relations avec l’Afrique subsaharienne et la position du Maroc à propos du conflit syrien.
Interview

Le sixième round des négociations qui a eu lieu dans la soirée de mercredi entre le Rassemblement National des Indépendants (RNI) et le Parti Justice et Développement (PJD) aurait connu un dénouement satisfaisant, après l’échec des cinq précédentes rencontres. La crise politique que connaît le royaume du Maroc depuis plusieurs mois serait en passe d’être résolue. Le Premier ministre Abdelilah Benkirane ne devrait donc pas tarder à annoncer la composition de la nouvelle formation politique, suite au départ du gouvernement de l’Istiqlal, la deuxième force politique du Maroc.

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Afrik.com : Les prochains jours seront marqués par la composition d’un nouveau gouvernement, suite au départ de l’Istiqlal, avec vraisemblablement l’entrée du RNI de Salaheddine Mezouar comme grand remplacement de l’Istiqlal. Qu’en pensez-vous ?

Mehdi Bensaïd :
Les négociations perdurent. On revit le même scénario entre Chabat et Benkirane qui ont négocié pendant cinq mois. Devrons-nous attendre encore cinq mois ? Je pense en tout cas que les revendications de Mezouar sont légitimes. Il doit planter ses exigences et revoir le programme gouvernemental pour éviter les erreurs du passé. La responsabilité incombe au chef du gouvernement. Les entreprises commencent à se plaindre de cette crise politique. Le Maroc est en retard aujourd’hui, on ne peut pas rester comme ça. Il faut cesser de dire que le PJD n’a pas d’expérience. Cela fait presque deux ans qu’il est au gouvernement. Il est temps de trouver la meilleure formation possible pour mettre en place une vraie politique. En tant que membre de l’opposition, on s’oppose à un programme en ajoutant nos idées, mais là, il n’y a rien. C’est le néant.

Afrik.com : Dans ce cas-là pourquoi le PAM n’entrerait-il pas dans le nouveau gouvernement ?

Mehdi Bensaïd :
Parce que nous ne sommes tout simplement pas intéressés. Il est hors de question pour le PAM d’entrer dans un gouvernement auquel il ne croit pas. Nous avons une vision opposée à celle du PJD et nous tenons à respecter le choix du peuple marocain qui nous a élus en quatrième position aux dernières Législatives. On a encore du travail pour faire passer notre message. Notre position sur la vision politique de la femme et des jeunes est différente. Le PJD essaie d’instaurer un islam politique, alors que nous avons la commanderie des croyants qui se charge de protéger les religions. Si en 2016 ou en 2022 le PJD revoit ses positions et passe d’un parti religieux à un parti conservateur, alors on pourra parler avec lui. Mais avec des positions tranchées, il est difficile d’être dans la majorité.

Afrik.com : Comme tous les partis marocains, le PAM fait sa rentrée politique. Quels sont les principaux dossiers en chantier et les grandes lignes à venir ?

Mehdi Bensaïd :
Déjà, nous sommes toujours en attente de la loi des finances de 2014 qui n’a pas l’air d’apparaître. Il risque d’y avoir du retard en attendant la proposition du gouvernement. Le groupe parlementaire auquel j’appartiens a fait des propositions de loi, notamment sur la question du racisme. Il existe des actes qui vont à l’encontre des valeurs du Maroc pluriel que nous essayons de construire, comme l’assassinat du jeune Sénégalais qui s’est produit à Rabat. Il est de notre devoir de sensibiliser les citoyens à travers cette question pour rappeler que le Maroc n’est plus un pays de passage, mais d’accueil, une situation à prendre comme valeur ajoutée et non une menace. Je ne comprends pas pourquoi nous devons continuer à jouer les gendarmes pour l’Europe, il est temps de revoir cette politique. Le Maroc est une porte vers l’Afrique, il faut donc en profiter.

La présence marocaine en Afrique francophone est très forte

Afrik.com : Le PAM a proposé en juillet dernier un texte de loi visant à sanctionner le racisme anti-Noir. Pourquoi avoir attendu si longtemps avant de la proposer ?

Mehdi Bensaïd :
Le PAM est sensible aux questions des droits de l’Homme, de la femme. Le but est de mettre en place cette loi. Pourquoi d’autres ne l’ont pas fait ? Il n’y avait peut-être pas assez d’audace auparavant. Nous devons mener une politique « anticipatrice », notamment avec cette vague de migration. Cette proposition n‘est qu’une première étape. Nous devons sensibiliser le gouvernement sur cette question-là, pour la construction d’un Maroc meilleur. Et puis, les gens ont tendance à l’oublier, mais le Maroc est un pays africain !

Afrik.com : On parle souvent des relations commerciales et économiques entre le Maroc et l’Espagne et la France. On en parle moins, mais le Maroc noue de profondes relations avec ses partenaires du sud n’est-ce pas ?

Mehdi Bensaïd :
La présence marocaine en Afrique francophone est très forte, à commencer par la RAM qui dessert de nombreux pays du continent. Pour se rendre dans certains pays africains avec la RAM, l’aéroport de Casablanca est devenu un passage systématique. Il y a une réelle volonté de mise en pratique d’être présent en Afrique. Il faut toujours plus de relations avec l’Afrique et surtout penser à renouer le contact avec l’Afrique du Sud. Ce sont deux modèles actuels de l’Afrique. Si ces deux pays se mettent à travailler ensemble, l’Afrique aura une plus-value. Il est temps d’en finir avec toutes ces querelles d’un autre siècle.

Afrik.com : Une croissance de 4,7% est prévue au Maroc en 2013. C’est à la fois un signe de réussite, mais aussi un « échec » selon le Patronat marocain dirigé par Meriem Bensalah-Chaqroun, qui affirme que ce taux est loin des attentes des entrepreneurs (déficit dans plusieurs secteurs, dont l’industrie…) :

Mehdi Bensaïd :
Ce qui m’intéresse, c’est la situation des citoyennes et des citoyens. Le Maroc est en train de proposer les mêmes prix qu’en Europe, sauf que les salaires, eux, n’augmentent pas. Le gouvernement doit prendre en considération cette problématique. Il s’agit là du principal ingrédient pour créer une crise sociale, qui peut, dans un contexte fragile, arriver du jour au lendemain. Que le patronat s’inquiète, c’est bien, mais c’est surtout le gouvernement qui devrait s’inquiéter pour le futur de nos concitoyens. Il n’y a aucune solution qui va dans le sens d’une politique sociale. Le PAM, pendant les discussions sur la loi de finances de 2013, a tenté de défendre cette vision sans oublier les citoyens issus des classes défavorisées. Actuellement, les propositions votées par la majorité ont pour idée d’imposer les classes moyennes au détriment des classes défavorisées. On appauvrit les plus pauvres.

Une minorité au Maroc est contre le régime

Afrik.com : En pleine crise politique, le royaume a connu une crise d’un autre genre, celle de la libération du pédophile Daniel Galvan. Personne ne semble être responsable, pourtant un criminel a été élargi de prison, alors que plusieurs prisonniers politiques marocains auraient pu être libérés.

Mehdi Bensaïd :
Je suis très sensible au fait que beaucoup de citoyennes et citoyens aient exprimé leur mécontentement. Le Roi n’est pas là pour gracier des criminels. Il faut dénoncer ce genre de chose. Comment cela se fait-il que cette personne ait été proposée sur la liste des graciés ? Ce que je dénonce, c’est la volonté de certains opposants au régime d’utiliser n’importe quel moyen pour s’opposer. Il y a eu un choc, c’est pour cela que les gens sont sortis. Une réaction citoyenne extraordinaire. On retrouve cela dit dans ces rassemblements des groupes politiques qui utilisent ces moyens pour s’opposer. Il faut condamner ces pratiques et l’absence des autres partis politiques. Le PAM a fait un communiqué. A notre niveau, c’est tout ce que l’on pouvait faire. Mais pourquoi le gouvernement n’a-t-il pas assumé sa responsabilité, surtout le ministère de la Justice ?

Afrik.com : Mais le Roi est responsable aussi. Mohammed VI a dit : « Je suis responsable mais pas coupable ». C’est bien lui qui accorde les grâces royales… Et comment se fait-il qu’il n’ait pas pris ses responsabilités après la répression du sit-in pacifique du 2 août, à Rabat ?

Mehdi Bensaïd :
Le Roi a pris ses responsabilités. Il a remis les choses dans l’ordre en recevant les familles. C’est un geste d’excuse envers elles. La personne concernée est aujourd’hui de nouveau en prison, c’est l’essentiel dans cette histoire. Il n’est pas nécessaire d’entrer dans une quelconque polémique. Il y a une minorité au Maroc qui est contre le régime. Et à chaque problème, ils réclament la responsabilité du roi. Lorsqu’il y a un tabassage à Paris, ce n’est pas hollande que l’on responsabilise, c’est bien la préfecture de police et le ministre de l’Intérieur. Mais il est clair qu’après la Constitution de 2011, nous ne pouvons pas accepter ce genre d’action.

Le Maroc n’est pas dans un esprit de revanche

Afrik.com : Après plusieurs jours de silence à propos du dossier syrien, le palais a condamné « le massacre de Ghouta », en Syrie, et appelle l’ONU à intervenir alors même que les preuves avancées par Washington et Paris n’ont toujours pas été présentées. Quelle est votre position ?

Mehdi Bensaïd :
Je pense qu’il est nécessaire de trouver une idée, une solution qui intéresserait les différentes composantes de la Syrie. Le débat est la meilleure des solutions. Est-ce qu’une intervention étrangère est nécessaire ? La question est légitime après les retombées en Irak, en Afghanistan, en Libye…. Je ne sais même pas si Ban Ki-moon (Secrétaire général de l’ONU, ndlr) en personne pourrait donner une réponse claire. Chaque pays essaie de réagir à sa manière. Le Maroc a fait son communiqué, mais si une attaque étrangère déclenche d’autres massacres encore plus graves, alors je ne pense pas qu’une intervention est la bonne solution, surtout si le régime d’Assad laisse place à un régime islamiste.

Afrik.com : A travers ce communiqué, ne serait-ce pas une manière pour le palais de prendre sa revanche sur la famille Assad qui a dès le début du conflit du Sahara reconnu, accueilli et soutenu le Polisario ?

Mehdi Bensaïd :
Nous condamnons ce massacre contre les civils syriens mais le Maroc n’est pas dans un esprit de vengeance. Bien évidemment nous avons des intérêts, mais on pourra régler nos comptes avec la Syrie lorsqu’elle sera démocratique. Aujourd’hui, nous sommes dans la solidarité avec les citoyens et dans la condamnation que ce soit du côté des rebelles que celui du régime.

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