Mahmoud Jibril, le fin stratège libyen


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Les Libyens veulent oublier l’ère Kadhafi. Le libéral Mahmoud Jibril, candidat au poste de Premier ministre, se présente comme l’homme qui peut les aider à tourner cette page de leur histoire. Il a opté dès le début pour le rassemblement, lors des législatives du 7 juillet dernier, où sa coalition est arrivée en tête devant les islamistes. Une stratégie qui s’est révélée payante.

Devenir le nouvel homme fort de la Libye. Tel est le rêve de Mahmoud Jibril, candidat au poste de Premier ministre. Mais ce musulman libéral est confronté à sept autres concurrents, dont deux particulièrement redoutables : le vice-Premier ministre Moustapha Abou Chagour et le chef du gouvernement de transition Abdelrahim al-Kib. Le Conseil général national, la nouvelle Assemblée libyenne, issue des élections législatives du 7 juillet, se réunira le 12 septembre pour nommer le prochain Premier ministre. Il est composé de 200 membres, dont 80 sont affiliés à des partis politiques. Les 120 autres sont des indépendants.

Mahmoud Jibril est ni charismatique ni populaire en Libye. Il le sait et mise donc sur ses talents de stratège. Rigoureux et méthodique, il ne fait rien au hasard. « C’est un homme très intelligent et calculateur. Il a su convaincre des personnalités influentes de se rallier à lui », selon un ancien rebelle qui a travaillé sous ses ordres. Pour pouvoir s’imposer lors des législatives, il a joué sur plusieurs tableaux. Dès le début de la campagne, il a appelé au rassemblement et à l’unité. Une stratégie qui s’est révélée payante dans un pays éclaté en une mosaïque de tribus et de clans. Sa coalition, l’Alliance des forces nationales (AFN), qui réunit une soixantaine de partis, a remporté 39 sièges, devançant les islamistes, réunis au sein du parti de la Justice et construction (PJC) et qui ont obtenu 17 sièges. Mahmoud Jibril est considéré comme l’homme qui a mené la coalition et infligé une cuisante défaite à ces derniers, alors que beaucoup pensaient que la vague islamiste atteindrait la Libye comme ce fut le cas en Tunisie, au Maroc et en Egypte. « Lors des élections d’hier, il n’y avait ni perdant ni gagnant. La Libye est le seul véritable vainqueur de ces élections », a affirmé Mahmoud Jibril au lendemain du scrutin, appelant au « dialogue national, en vue de s’unir tous ensemble […] sous une seule bannière ».

En froid avec les islamistes

Pourtant, rien ne présageait que sa stratégie fonctionnerait. Les islamistes n’ont pas manqué de le critiquer, le taxant de « laïc », l’une des pires insultes, selon eux. Pour Mohammed Sawan, fondateur du PJC, Mahmoud Jibril a « trompé les électeurs. Il ne s’est pas présenté au peuple comme un libéral. Les Libyens ont voté pour lui car ils le considèrent aussi comme un islamiste ». Le leader des islamistes a également pointé du doigt son projet flou concernant la charia, loi islamique : « Jibril pense que la charia ne doit concerner que certains aspects de la vie. Dans l’islam, il n’y a pas à prendre ceci ou cela. Le gouvernement doit renforcer l’islam dans tous les domaines de son travail ». Des attaques que Mahmoud Jibril a su habilement esquiver : « Mes voisins vous diront que je suis un bon musulman. Je fais mes prières. J’ai fait le pèlerinage à La Mecque ». Le chef de l’AFN, qui refuse d’être considéré comme un laïc, affirme être un conservateur, assurant que la future Constitution fera référence à la loi islamique.

Mahmoud Jibril a plusieurs atouts qui lui ont permis de se faire une place dans l’arène politique libyenne. Agé de 60 ans, le père de famille de quatre enfants, est issu de la tribu des Warfallah, la plus grande et la plus puissante du pays. C’est aussi un économiste respecté. Formé à l’étranger, il a décroché un diplôme en sciences politiques au Caire et un doctorat à l’université de Pittsburg, aux Etats-Unis, où il a enseigné la prise de décision et la planification stratégique jusqu’en 1980. Des compétences qui lui vaudront d’être appelé en 2007 par Seif al Islam, le fils du défunt Mouammar Kadhafi, à rejoindre le gouvernement. Il est nommé à la tête du bureau du développement économique national pour mener des réformes, d’où il démissionne en 2010.

Un négociateur hors pair

Le leader de l’AFN retrouvera néanmoins une place prépondérante dans la politique. Il prend part à la révolte contre Mouammar Kadhafi, et joue un rôle important grâce à ses talents de négociateur hors pair. Dès que le soulèvement éclate en février 2011, il est nommé chef de l’exécutif du Conseil national de transition (CNT), l’équivalent du Premier ministre. L’organe de transition est alors présidé par Moustapha Abdeljalil. Mais Mahmoud Jibril devient très vite l’interlocuteur privilégié sur la scène internationale. Il sillonne les capitales occidentales et arabes pour tenter de convaincre les grandes puissances de soutenir la rébellion contre le régime de Mouammar Kadhafi. Habile, il met en avant son sens du consensus et de la modération, adaptant son discours à toutes les parties. Une tactique qui se révèle efficace. Le responsable libyen est reçu à l’Elysée par le président français Nicolas Sarkozy le 10 mars 2011, le jour où la France reconnaît le CNT comme nouvel organe politique de transition; avant de s’engager le 17 mars dans le conflit libyen, en compagnie de la Grande-Bretagne. De son côté, le Qatar devient le principal pourvoyeur d’armes des rebelles.

Le mandat de Mahmoud Jibril est loin d’être de tout repos. Les tensions se multiplient au sein du CNT, en proie à des dissensions internes. L’assassinat du chef d’Etat major des rebelles, Abdel Fatah Younès, censé former les différentes brigades au combat contre les troupes du régime, est un coup dur pour l’organe de transition. Le premier gouvernement de Mahmoud Jibril ne résiste pas à cette crise. Il est contraint d’en former un nouveau. Mais les critiques sont de plus en plus vives à son encontre. Ses interlocuteurs étrangers et les rebelles lui reprochent de ne pas suffisamment s’impliquer dans sa fonction de Premier ministre, même s’il s’agit juste d’un rôle de transition. Il démissionne finalement le 23 octobre 2011, trois jours après la mort de Mouammar Kadhafi, tué dans sa ville natale de Syrte.

« Mahmoud Jibril n’est pas fait pour gouverner ! »

Pour le moment, Mahmoud Jibril n’a pas encore gagné le cœur de tous les Libyens. « Il n’aurait jamais réussi seul à s’imposer aux législatives sans sa coalition », estime Jomode Elie Getty, membre fondateur du CNT et président du Conseil national toubou (noirs autochtones du Sud de la Libye). Certains de ses détracteurs, lui reprochent également ses affinités avec l’Occident, d’autres ont toujours en tête sa participation au sein du régime de Mouammar Kadhafi. Sans compter que parmi les ex-rebelles, beaucoup lui reprochent son engagement tardif au sein de la révolution. « Jibril a du mal à prendre des décisions. Il ne s’est engagé dans la révolution qu’après avoir été certain que les Occidentaux soutiendraient les rebelles. C’est un technocrate, estime Jomode. Il n’est pas fait pour diriger. S’il devient Premier ministre, ce sera une catastrophe pour la Libye ! »

Les Libyens veulent désormais oublier l’ère Kadhafi. Mahmoud Jibril se présente comme celui qui peut réunifier le pays, loin d’être apaisé. L’insécurité est toujours de mise. Et les islamistes, qui n’ont pas dit leur dernier mot, tentent de se frayer un chemin pour trouver leur place. La tâche qui attend Mahmoud Jibril est ardue. S’il est nommé Premier ministre, il lui faudra sans doute beaucoup plus que ses talents de fin stratège pour redresser la Libye.

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