Les coups de pub d’Al-Qaïda au Maghreb Islamique


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Barah Mikail, chercheur à l’IRIS

Lumière sur Al-Qaïda au Maghreb Islamique. Les médias ne parlent plus que d’eux et relayent chacun des coups de force de ces terroristes qui multiplient les prises d’otage. Dernière en date, la capture d’humanitaires espagnols libérés lundi, après neuf mois de détention au Mali. Des cibles choisies par l’organisation terroriste qui maintient ainsi sa visibilité sur la scène internationale et par ce biais, dialogue avec les gouvernements occidentaux.

Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI) est plus que jamais sur le devant de la scène. La libération lundi des deux otages espagnols a contribué à faire encore parler de cette organisation terroriste. L’information a fait le tour de la planète. Une stratégie de communication des plus efficaces basée sur l’enlèvement de civils. Des prises d’otages à répétition qui tendraient même à relayer au second plan l’Al-Qaïda d’Oussama Ben Laden, à laquelle ils se sont affiliés le 25 janvier 2007.

Initialement présents en Algérie sous le nom de Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), ils ont tissé leur toile jusque dans les régions du Sahel et plus particulièrement au Niger et en Mauritanie, pays qui a servi de base de recrutement. Avec près de 300 membres à leur actif, selon les informations glanées par les services de renseignements, leur cible privilégiée reste les Occidentaux : ressortissants espagnols, italiens, français, britanniques. Par ce biais, ils peuvent entrer en contact avec les gouvernements des pays concernés et d’acquérir une existence politique à laquelle ils aspirent. Au-delà de la simple entreprise de communication, les prises d’otage ont pour objectif la libération de leurs prisonniers. Une option boudée par les Etats qui seraient contraints, selon les médias, de verser la rançon demandée par les ravisseurs. Une manière de renflouer les caisses et de financer l’achat d’armes.

Barah Mikail, chercheur à l’IRISBarah Mikail, chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), spécialiste du Moyen-Orient nous explique la stratégie adoptée par l’AQMI pour développer sa visibilité.

Afrik.com : Comment s’est développée Al-Qaïda au Maghreb Islamique ?

Barah Mikail :
Intialement, AQMI était le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC). A l’époque, cette organisation terroriste était cantonnée au milieu maghrébin et en particulier algérien, là où elle est née. La visibilité du GSPC était limitée car leurs actions étaient réduites au niveau local ou régional. L’organisation était en quête de légitimité. Le 25 janvier 2007, au lendemain du meurtre de quatre ressortissants français à Aleg en Mauritanie, le GSPC rejoint Al-Qaïda et devient Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI). Ils ont bénéficié de l’impact et des moyens d’actions d’Oussama Ben Laden en se déclarant filiale d’Al-Qaïda. Le GSPC avait vraiment la volonté de s’approprier un label pour renforcer sa visibilité. En revanche, AQMI n’est pas du tout une création de Ben Laden même si l’idéologie affichée et la rhétorique rejoignent celles des salafistes djiadistes comme lui.
Il y a d’ailleurs un parallèle intéressant à faire entre Al-Qaïda au Maghreb Islamique et l’Al-Qaïda en Mésopotamie. Au départ c’est Al Zarqaoui, le fondateur d Al-Tawhid qui a demandé à Ben Laden de le reconnaître. Un aval qu’il a donné par la suite en décembre 2004. C’est le même processus que pour l’AQMI. Ces deux organisations avaient besoin de se réapproprier leur image pour bénéficier de plus d’audience.

Afrik.com : Pourquoi choisir les occidentaux comme cible ?

Barah Mikail :
Les otages qui font du bruit sont les Occidentaux : les français et les espagnols pour reprendre des exemples récents. En optant pour cette cible, AQMI engage un bras de fer avec les gouvernements occidentaux et s’érige comme un acteur politique potentiel, un interlocuteur. D’ailleurs, sa capacité d’impact est plus forte quand il s’agit d’otages occidentaux. Si AQMI se limitait à une cible régionale comme l’Algérie, le Maroc ou la Mauritanie, les médias y accorderaient moins d’importance. Alors que, dès que des intérêts occidentaux y sont mêlés, il y a un phénomène de réappropriation médiatique. Le public y est plus sensible. Ils ont une véritable capacité de discernement.

Afrik.com : Y-a-t-il des pays plus enclins à céder aux pressions d’AQMI ?

Barah Mikail :
AQMI sait pertinemment que négocier avec les Français est plus difficile qu’avec les Italiens ou les Espagnols, qui semblent plus enclins à composer avec eux. Mais difficile de dire quels Etats ont déjà cédé à la demande de rançon. L’option diplomatique clandestine est la méthode usuelle. Aucun pays n’assume de verser l’argent demandé par les ravisseurs. Afficher la possibilité de négocier avec des terroristes, c’est d’abord le risque de voir les prises d’otages réitérées à l’infini. La crainte des urnes est une autre explication. L’opinion publique n’accepterait pas que son gouvernement pactise avec le diable, car négocier revient à valider le processus.

Afrik.com : La demande de rançon n’est-elle pas devenue un fond de commerce pour AQMI ?

Barah Mikail :
Un enlèvement représente en effet une manne financière. On parle par exemple de 7 ou de 8 millions d’euros pour les otages espagnols. Cet argent, même s’il y a une grande opacité sur les moyens concrets de ce type d’organisation, leur permet d’acquérir des armes. Ils composent parfois avec les armées régionales. Des généraux algériens, malgré la rigidité du pays à l’égard d’AQMI, leur ont déjà fourni, contre de l’argent, des armes.

Afrik.com : L’exécution d’un douanier algérien survenue le 23 août marque-t-elle un changement de stratégie d’AQMI ?

Barah Mikail :
Pour ces formations terroristes, les gouvernements sont des ennemis parce qu’ils composent avec l’Occident et aussi parce qu’ils développent des moyens de lutte à leur encontre. Dans cette logique, les cibles gouvernementales, comme les agents qui assurent la sécurité, sont souvent victimes d’attaque.

A lire sur le site de l’IRIS: Stratégie et enjeux d’Al-Qaïda en Mauritanie de Benoît Lucquiaud, sous la direction de Barah Mikail. Août 2010.

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