
Un fragment d’or rescapé du pillage de Maqdala en 1868 vient d’être restitué à Addis-Abeba. Ce retour relance le débat sur le rapatriement des trésors africains détenus par les institutions occidentales.
L’objet tient dans une paume, mais son poids symbolique est considérable. Une épingle à cheveux en or ayant appartenu à l’impératrice Tirunesh, épouse de l’empereur Téwodros II, a regagné le sol éthiopien après plus d’un siècle et demi passé au Royaume-Uni. Cette restitution, formalisée lors d’une cérémonie à Addis-Abeba, referme une parenthèse ouverte en avril 1868, lorsque les troupes britanniques du général Robert Napier mirent à sac la forteresse de Magdala.
Les stigmates d’une expédition punitive
L’assaut de Maqdala demeure l’un des épisodes les plus dévastateurs de l’histoire patrimoniale africaine. Lancée pour libérer des otages européens détenus par Téwodros II, l’expédition britannique s’acheva par le suicide de l’empereur et le pillage systématique de ses trésors. Manuscrits enluminés, croix processionnelles, couronnes royales, tabots sacrés : des centaines d’objets prirent le chemin de Londres, dispersés entre le British Museum, la British Library, le Victoria and Albert Museum et des collections privées.
L’épingle de l’impératrice Tirunesh, pièce d’orfèvrerie d’une finesse remarquable, échappa cependant aux grandes institutions. Sans que l’on sache comme, elle échoué dans une collection particulière. Son parcours exact durant ces 157 années reste partiellement obscur, à l’image de nombreux artefacts dont la traçabilité s’est perdue dans les méandres du marché de l’art.
Une restitution venue d’une initiative privée
Contrairement aux demandes officielles répétées adressées par Addis-Abeba aux musées britanniques, ce retour résulte d’une démarche volontaire. Le propriétaire de l’épingle, dont l’identité n’a pas été rendue publique, a choisi de la remettre aux autorités éthiopiennes sans contrepartie financière. Un geste qui tranche avec les fins de non-recevoir opposées depuis des décennies par les grandes institutions culturelles, arc-boutées sur le principe d’inaliénabilité de leurs collections.
Le ministère éthiopien de la Culture a salué ce rapatriement comme une victoire morale. L’épingle rejoindra les collections du Musée national d’Addis-Abeba, où elle sera exposée aux côtés d’autres pièces témoignant de la grandeur impériale éthiopienne.
Maqdala (Magdala), plaie ouverte des relations anglo-éthiopiennes
La question des trésors de Maqdala empoisonne les relations diplomatiques entre Londres et Addis-Abeba depuis plus d’un siècle. L’Éthiopie réclame officiellement leur restitution depuis les années 1920. En 2007, une pétition rassemblant des milliers de signatures avait été remise au gouvernement britannique. Sans effet.
Le British Museum détient à lui seul environ 500 objets issus du pillage, dont des manuscrits liturgiques d’une valeur inestimable et une couronne royale. L’institution a proposé en 2018 un prêt de longue durée à l’Éthiopie, option jugée humiliante par Addis-Abeba qui refuse de se voir prêter ce qui lui a été volé.
Un précédent dans la vague des restitutions africaines
Ce retour s’inscrit dans un mouvement plus large de réexamen du passé colonial par les anciennes puissances européennes. La France a restitué en 2021 les trésors royaux du Bénin, l’Allemagne a rendu des bronzes du Nigeria, la Belgique s’est engagée sur le patrimoine congolais. Le Royaume-Uni, lui, reste en retrait, freiné par une législation qui interdit aux musées nationaux de se séparer de leurs collections.
Cette épingle en or pourrait créer un précédent. Pour l’Éthiopie, nation qui n’a jamais été colonisée mais dont le patrimoine fut néanmoins dispersé par la force, chaque objet retrouvé est une réparation. Et un rappel que des milliers d’autres attendent encore, derrière les vitrines des musées européens, de refaire le chemin inverse.




