
Deux jours pour écrire l’histoire. La Conférence internationale sur les crimes du colonialisme, qui se tient à Alger, rassemble l’Afrique autour d’une exigence commune : transformer les blessures du passé colonial en justice du présent. Entre mémoire et réparations, le continent entend faire entendre sa voix face aux anciennes métropoles qui rechignent encore à regarder leur passé en face.
La capitale algérienne vit depuis samedi 30 novembre un moment historique. Pour deux jours, Alger redevient ce qu’elle fut jadis, la « Mecque des révolutionnaires« , en accueillant la Conférence internationale sur les crimes du colonialisme en Afrique. Au Centre international de conférences Abdelatif-Rahal, ministres, juristes, historiens et représentants de la société civile venus des quatre coins du continent africain, mais aussi des Caraïbes et d’ailleurs, se réunissent pour franchir une étape décisive : transformer la mémoire en justice, le témoignage en réparation.
De la mémoire symbolique à l’exigence politique
Cette conférence, initiée par l’Union Africaine, marque le passage de la mémoire symbolique à l’exigence politique et financière des réparations. L’événement s’inscrit dans le cadre du thème de l’année 2025 de l’UA : « Justice pour les Africains et les personnes d’ascendance africaine à travers les réparations« . Une formule qui résonne particulièrement dans les murs d’Alger, ville qui n’a jamais oublié les 132 ans d’occupation française et les millions de morts de la guerre d’indépendance.
Le ministre algérien des Affaires étrangères, Ahmed Attaf, a donné le ton dès l’ouverture : l’Afrique a le droit de réclamer la reconnaissance officielle. Pour cela il explicite des crimes commis contre ses peuples durant la période coloniale. Pour lui, cette reconnaissance constitue « le minimum » nécessaire avant tout processus de réparation.
Un agenda ambitieux pour une justice continentale
La conférence s’articule autour de plusieurs axes majeurs, dont le premier vise la qualification juridique du colonialisme, de l’esclavage et de l’apartheid comme crimes contre l’humanité selon le droit international contemporain. Les participants travaillent à l’élaboration d’un cadre panafricain unifié de revendications envers les anciennes métropoles – France, Royaume-Uni, Portugal, Belgique, Espagne, Allemagne, Italie.
« Nous ne sommes plus dans la posture de la supplication. L’Afrique réclame ce qui lui est dû, ni plus, ni moins » nous déclare un délégué nigérian de l’Union africaine lors des échanges.
Les discussions portent sur quatre dimensions essentielles des crimes coloniaux : humaine (traumatismes intergénérationnels), culturelle (spoliation du patrimoine), économique (exploitation des ressources et perpétuation d’inégalités structurelles), et environnementale (notamment les essais nucléaires français dans le Sahara algérien, dont les effets radioactifs persistent).
La Déclaration d’Alger : un texte fondateur en gestation
L’objectif central de ces deux jours reste l’adoption de la « Déclaration d’Alger« , qui devrait servir de référence commune pour la codification des crimes coloniaux, l’affirmation de leurs impacts sur les sociétés africaines et la définition d’une stratégie partagée en matière de justice et de réparations. Ce document sera ensuite soumis au prochain sommet de l’UA en février 2026 pour validation par les chefs d’État.
La présence de représentants caribéens témoigne de la dimension globale de cette lutte. Eric Phillips, représentant de la communauté caribéenne, a appelé les participants à dépasser le statut de victimes pour devenir des acteurs de la justice. Cette alliance transatlantique rappelle que les crimes coloniaux et l’esclavage ont façonné des trajectoires communes de souffrance et de résistance.
« Le colonialisme n’est pas qu’un chapitre clos de l’histoire. C’est une blessure ouverte dont les conséquences économiques et sociales structurent encore nos sociétés » nous explique un historien africain participant aux travaux.
L’objectif est de mettre fin à la fragmentation des demandes pour créer un front commun. Car jusqu’ici, les revendications africaines sont restées dispersées, permettant aux anciennes puissances coloniales de répondre par des gestes symboliques partiels, sans jamais s’engager sur le terrain des réparations financières substantielles.
L’ombre du Sahara occidental
Fidèle à sa ligne diplomatique, l’Algérie a également mis sur la table la question du Sahara occidental. Ahmed Attaf rappelant que l’Afrique doit terminer aussi le processus de décolonisation sur son propre continent.
Pour la première fois, l’Afrique parle d’une seule voix. Alors que les anciennes métropoles préfèrent encore détourner le regard ou se contenter de discours compassionnels, l’Afrique, réunie à Alger, envoie un message clair : le temps du symbolique touche à sa fin. C’est désormais sur le terrain du droit international et de la justice que se jouera la reconnaissance des crimes coloniaux. Et comme le souligne Ahmed Attaf «Il est grand temps de mettre fin aux vestiges du colonialisme dans toutes leurs dimensions et manifestations».



