Le problème de l’alternance démocratique du pouvoir en Afrique sub-saharienne


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La crise postélectorale ivoirienne fut-elle provoquée par une élection présidentielle contestable et entachée d’irrégularités ou bien plutôt par le refus de l’ex-président et de son parti de se plier aux règles du jeu de l’alternance du pouvoir comme l’exige la démocratie constitutionnelle-pluraliste ? Le refus délibéré des règles de ce régime par les acteurs politiques locaux est-il l’obstacle principal à la diffusion sans entrave de la démocratie en Afrique sub-saharienne ? S’il en est ainsi, quelle est la source du refus des règles de la démocratie constitutionnelle-pluraliste ? Que faire pour en accepter le jeu et consentir à ses règles en Afrique sub-saharienne ?

Chapitre 1 : Le refus des règles du jeu de la démocratie

Comme l’attestent tous les comptes-rendus de journaux ayant trait à la question de la crise postélectorale ivoirienne, il semble que ce soit plutôt le problème psychologique du refus des règles de l’alternance du pouvoir qui retarde le cours de l’histoire en entravant la diffusion de la démocratie constitutionnelle-pluraliste en Afrique sub-saharienne. Selon la formule consacrée, la crise postélectorale fut « provoquée par le refus du président Gbagbo d’accepter sa défaite ». Un compte rendu récent de l’AFP en date du 26-10-2012 mentionne que « son refus de céder le pouvoir à son rival, l`actuel président Alassane Ouattara, avait plongé le pays dans une crise qui avait fait 3.000 morts. » AFP 26-10-2012. Le journal en ligne lebanco.net note aussi dans sa publication du 26-10-2012 que le refus de Gbagbo « de céder le pouvoir à son rival élu, l`actuel président Alassane Ouattara, avait plongé le pays dans une crise qui avait fait 3.000 morts ». La dernière mention en date de ce refus apparaît dans la diffusion de la nouvelle de la dissolution du gouvernement ivoirien par le journal Le Point ce 14 Novembre 2012. Le journal note que la crise post-électorale ivoirienne est « née du refus de l’ex-président de reconnaître sa défaite à l’élection de novembre 2010, la crise de décembre 2010-avril 2011 a fait quelque 3 000 morts ».

Loin d’être anecdotique et de désigner un fait divers électoral local, cette expression unanimement employée dans tous les comptes-rendus de la crise post-électorale ivoirienne traduit un fait sociologique continental. Le refus de l’alternance du pouvoir qui génère les crises postélectorales africaines résulte d’un problème de mentalité et de psychologie. Il s’agit du refus par les élites politiques locales des règles d’une institution artificielle dont la fonction est précisément d’organiser et de mettre en forme constitutionnellement, une rivalité virtuellement violente entre candidats au pouvoir, afin de prévenir le débordement de la brutalité meurtrière. Emerge ainsi la place centrale qu’occupe dans la lutte politique le problème des passions et de la violence potentielle, éléments sous-jacents qu’un mécanisme ou une construction artificielle doit permettre de contenir! Pour empêcher la violence il est nécessaire d’organiser constitutionnellement la rivalité politique sous la forme d’un jeu ritualisé dont les candidats au pouvoir doivent accepter les règles. Au-delà de la souveraineté du peuple et du suffrage universel, les institutions de la démocratie libérale se définissent par l’organisation d’une compétition nourrie de passions prêtes à exploser. Ceux qui détiennent le pouvoir peuvent être fortement tentés de ne pas s’exposer au risque de le perdre. Et ceux qui en sont exclus peuvent céder au désir d’utiliser des moyens légalement interdits pour s’en emparer.

La démocratie constitutionnelle pluraliste apparaît de ce point de vue comme une œuvre humaine, production artificielle et non naturelle, inventée et construite pour résoudre le problème politique de la maitrise des passions individuelles qui permet à une communauté politique de réaliser les compromis nécessaires au service de l’intérêt général et du bien-être commun. En organisant la compétition politique comme un jeu avec des règles strictes auxquelles les acteurs doivent se tenir, on construit un artifice pour maîtriser les passions en en tolérant une expression symbolique. Le jeu de football avec ses règles, ses usages de fair-play et le programme des compétitions, offre de ce point une analogie intéressante avec le jeu de la démocratie en politique. « Le retour régulier des élections symbolise à la fois la continuité du jeu (la victoire n’est jamais définitivement acquise) et la limitation du nombre des parties. L’opposition battue à la précédente élection doit attendre la prochaine, sans empêcher, dans l’intervalle la majorité et le gouvernement d’exercer leur fonction » écrit Raymond Aron. Le fair-play du jeu de la démocratie exige que le parti au pouvoir envisage de se retirer au terme d’une élection perdue et à la fin du nombre de mandats permis fixé par la constitution. Il faut que l’opposition envisage de miser sur une revanche électorale pour revenir au pouvoir. Les partis politiques doivent jouer honnêtement le jeu de la démocratie constitutionnelle-pluraliste et les dirigeants politiques respecter les règles du jeu.

Ainsi le problème psychologique du refus d’une compétition honnête, d’un consentement au jeu et à ses règles, explique la difficulté de la diffusion de la démocratie constitutionnelle dans les Etats d’Afrique sub-saharienne. L’échec de cette forme de gouvernement depuis les Indépendances africaines jusqu’à nos jours a pour cause immédiate et constante, mais non pas unique, l’incapacité des classes politiques à jouer le jeu du pluralisme constitutionnel. La lutte ininterrompue que les membres de l’ancien gouvernement ivoirien déchu continuent de mener jusqu’à ce jour, contre le nouveau président élu et son équipe pour tenter reconquérir le pouvoir par des moyens illégaux s’inscrit dans la continuité de ce refus psychologique de l’alternance et des règles du jeu de la démocratie. Depuis le début de la crise électorale ivoirienne les diverses raisons avancées par les perdants pour justifier leur refus du résultat des élections présidentielles sont de ce point de vue des ratiocinations, au sens psychanalytique du terme, qui servent à cacher la motivation fondamentale : le refus pur et simple des règles du jeu de la démocratie constitutionnelle-pluraliste et son principe de l’alternance.

Et si les élections ivoiriennes avaient été effectivement entachées par des fraudes – or tel n’est pas le cas – cette occurrence s’expliquerait aussi par un usage de moyens illégaux par l’opposition pour s’emparer du pouvoir parce qu’elle aurait refusé de jouer honnêtement le jeu de la démocratie en en respectant les règles. En Afrique sub-saharienne, la fraude électorale et le recours à la violence pour s’emparer du pouvoir expriment un refus des règles du jeu de la démocratie constitutionnelle-pluraliste aussi bien par les partis au pouvoir que par les oppositions. Quelles sont donc en Afrique les raisons diverses qui favorisent et suscitent ce refus du jeu de la démocratie constitutionnelle pluraliste et de ses règles, notamment en Afrique sub-saharienne, dans les ex-colonies françaises, belges, hispaniques et portugaises ? Et comment les surmonter ?

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