
L’Assemblée populaire nationale algérienne s’apprête à voter ce mercredi 24 décembre un projet de loi historique criminalisant la colonisation française de 1830 à 1962. Porté par des députés de différentes formations politiques, ce texte de 54 articles qualifie les crimes coloniaux de « crimes d’État » imprescriptibles et exige de la France reconnaissance officielle, excuses et réparations.
Plusieurs fois évoqué mais jamais adopté, le projet de loi visant à criminaliser certains actes remontant à la période coloniale française, ainsi que certains propos jugés attentatoires au souvenir de cette histoire, a été examiné à l’Assemblée populaire nationale d’Algérie le dimanche 21 décembre dernier par les 407 députés que compte le pays. Ce mercredi 24 décembre, le texte devrait être adopté.
Ce n’est pas la première fois que le Parlement algérien tente d’inscrire la criminalisation de la colonisation dans le droit. La première initiative parlementaire remonte à 2001. D’autres tentatives ont suivi, notamment en 2005 et 2006, en réaction directe à la loi française du 23 février 2005, dont l’article 4 imposait l’enseignement du « rôle positif » de la colonisation dans les programmes scolaires français. Un texte qui avait provoqué l’indignation à Alger et contraint Jacques Chirac à faire supprimer l’article controversé en 2006. De nouvelles initiatives ont vu le jour en 2017, 2019, 2020 et 2021, sans jamais aboutir.
Un « acte de souveraineté et de fidélité à l’histoire nationale »
Présenté par ses défenseurs comme un « acte de souveraineté et de fidélité à l’histoire nationale », le projet de loi comprend 54 articles répartis en plusieurs chapitres. S’il est adopté, il inscrira dans le droit algérien l’exécution, la torture et le pillage comme crimes passibles de poursuites. Le texte prévoit également une peine allant de cinq à dix ans de prison pour quiconque ferait, sur le sol algérien, l’éloge du colonialisme français, et une peine d’un à trois ans pour la diffusion de propos à connotation coloniale.
Par sa dimension juridique, le projet de loi vise à transformer la mémoire en norme et à sceller la place de la colonisation dans le droit algérien comme crime contre l’humanité. Son ambition est d’obtenir une reconnaissance officielle du préjudice ainsi qu’une demande d’excuses formelles de la France. Une condition érigée en préalable à toute réconciliation qui permettrait de redéfinir les paramètres du dialogue politique avec Paris.
Des revendications au-delà de la réparation morale
Les exigences algériennes vont au-delà de la seule réparation morale. La restitution des biens culturels, la décontamination des sites d‘essais nucléaires dans le Sahara où la France a procédé à 17 essais entre 1960 et 1966, ainsi que la restitution des cartes de champs de mines figurent en bonne place parmi les revendications placées au cœur des négociations bilatérales entre Alger et Paris.
Lors d’un discours prononcé devant les deux chambres parlementaires fin décembre 2024, le président Abdelmadjid Tebboune avait déclaré : « La valeur de nos martyrs tombés durant la Résistance et la glorieuse Révolution de Libération est bien plus précieuse que des milliards de dollars. Je ne demande pas à l’ancien colonisateur des réparations matérielles, mais la reconnaissance de ses crimes. » Il avait ajouté : « Ne nous donnez pas d’argent, mais venez nettoyer les sites que vous avez contaminés. »
Un contexte de tensions récurrentes avec Paris
Cette troisième tentative d’envergure intervient dans un contexte de tensions récurrentes avec Paris et pourrait bénéficier d’une conjoncture politique jugée plus favorable. Les relations franco-algériennes restent en effet au plus bas depuis la reconnaissance par la France, à l’été 2024, d’un plan d’autonomie « sous souveraineté marocaine » pour le Sahara occidental. Une position que l’Algérie, soutien du Front Polisario, considère comme une provocation et non conforme à la position de l’ONU et au droit international.
Au-delà de l’hémicycle, juristes, historiens et associations de moudjahidine s’accordent : ce projet de loi est autant un outil de réaffirmation identitaire qu’un instrument juridique. L’avocate et chercheuse en droit de l’histoire Fatima-Zohra Benbraham a qualifié cette proposition de « second événement d’importance après l’indépendance », estimant que « si la colonisation s’est arrêtée en 1962, la pensée coloniale, elle, est toujours là, grave et pernicieuse ».
Pour Hosni Kitouni, chercheur en histoire de la période coloniale à l’université britannique d’Exeter, « juridiquement, cette loi n’a aucune portée internationale et ne peut donc obliger la France. Sa portée juridique est exclusivement interne. Mais la portée politique et symbolique est importante : elle marque un moment de rupture dans le rapport mémoriel avec la France. »
Trois issues possibles
À l’issue de la session parlementaire de ce jour, trois scénarios se présentent aux Algériens :
- Premièrement, l’adoption rapide du texte, qui permettrait de renforcer la position de l’Algérie dans le dialogue mémoriel avec la France tout en fixant un cadre légal pour toute future négociation ;
- Deuxièmement, le report du vote, qui ouvrirait la porte à des amendements susceptibles d’en atténuer la dimension pénale tout en préservant l’exigence d’excuses officielles ;
- Troisièmement, le rejet du projet de loi, qui risquerait de créer une onde de choc politique nationale et relancerait le débat sur la place publique.
Si elle est adoptée, cette loi marquera une étape supplémentaire dans le combat mémoriel de l’Algérie et consacrera une ligne jurisprudentielle que les tentatives précédentes n’avaient pu faire adopter. La séance plénière de ce 24 décembre promet ainsi d’être scrutée tant par l’opinion nationale algérienne que par les chancelleries étrangères.




