
Vingt-quatre heures après l’arrestation de plusieurs hauts gradés de l’armée malienne, le flou persiste autour de ce que certaines sources qualifient de tentative de coup d’État déjouée contre le régime du colonel Assimi Goïta. Alors que les autorités de transition maintiennent un silence radio assourdissant, les informations contradictoires se multiplient, révélant les profondes tensions qui traversent l’appareil militaire malien.
Selon l’Agence France-Presse, qui cite des sources sécuritaires et militaires, au moins 37 militaires auraient été arrêtés depuis le 7 août 2025, dont deux généraux de haut rang. Un membre du Conseil National de Transition évoque même « une cinquantaine d’arrestations« , suggérant l’ampleur de ce qui pourrait être la plus importante purge au sein de l’armée depuis l’arrivée au pouvoir de la junte en août 2020.
Un pouvoir sous tension 24 heures après les premières interpellations
Parmi les personnalités arrêtées figurent deux officiers emblématiques dont l’interpellation suscite de vives émotions dans les rangs militaires. Le général Abass Dembélé, ancien gouverneur de la région de Mopti démis de ses fonctions le 28 mai 2025, incarne une figure respectée de l’institution militaire. Héros local qui avait notamment dirigé un groupe de volontaires commandos lors de l’offensive séparatiste touareg de 2012, son arrestation à son domicile de Kati, en banlieue de Bamako, a eu l’effet d’une onde de choc.
La générale de brigade Nema Sagara, membre de l’état-major de l’Armée de l’air, représente quant à elle un symbole fort : comptant parmi les femmes militaires les plus gradées d’Afrique, elle fait partie des rares officières maliennes ayant participé directement aux combats. Formée au Mali, en France et aux États-Unis, son parcours exceptionnel dans la défense des populations civiles et la souveraineté nationale rend son arrestation d’autant plus troublante.
Une guerre de l’information
Face à cette crise, deux récits s’affrontent. D’un côté, un officier supérieur proche des autorités de transition affirme sans ambages : « Le règlement militaire est clair : ils ont voulu déstabiliser la transition et ils sont aux arrêts. » Cette version officieuse suggère une tentative réelle de renversement du pouvoir, justifiant ainsi la répression en cours.
De l’autre, le Parlement malien, par la voix d’Aliou Tounkara du Conseil National de Transition, dément catégoriquement toute tentative de coup d’État. Dans une interview accordée à l’African Initiative, il qualifie ces informations de « ridicule provocation médiatique de la part de la France« , assurant que « le peuple malien soutient le président Assimi Goïta et le gouvernement de transition. »
Cette bataille narrative révèle l’influence persistante de la guerre informationnelle dans la crise malienne. Serge Daniel, journaliste de France 24 d’origine béninoise et ancien correspondant de l’AFP et RFI au Mali, a été l’un des premiers à rapporter les arrestations, sans toutefois fournir de détails précis, alimentant ainsi les spéculations et les théories contradictoires.
Un contexte politique explosif
Ces événements interviennent dans un contexte particulièrement tendu. La junte d’Assimi Goïta, au pouvoir depuis le coup d’État d’août 2020 suivi d’un second putsch en mai 2021, fait face à de multiples défis. La transition, initialement prévue pour durer quelques mois, s’éternise depuis cinq ans, avec des échéances électorales sans cesse repoussées. Le référendum constitutionnel est désormais prévu pour janvier 2024, les élections législatives pour novembre 2025, et la présidentielle pour décembre 2026.
Cette prolongation indéfinie du pouvoir militaire, combinée à la dissolution récente des partis politiques et à l’interdiction de leurs activités en mai 2025, a créé un climat de mécontentement croissant, y compris au sein de l’institution militaire elle-même.
Les fantômes du passé
L’histoire malienne, jalonnée de coups d’État militaires – 1968, 1991, 2012, 2020 et 2021 – semble se répéter dans un cycle sans fin. La base de Kati, théâtre de plusieurs de ces putschs, demeure le symbole de cette instabilité chronique. Comme le soulignent plusieurs observateurs, ces arrestations massives ravivent le spectre d’une nouvelle rupture brutale dans un pays déjà fragilisé par la menace jihadiste et les tensions communautaires.
Mais un homme politique malien, cité par l’AFP, résume ce dilemme : « S’agit-il d’une réalité ou d’un montage pour éliminer des militaires gênants ? »
L’absence de communication officielle des autorités, 24 heures après les premières arrestations, ne fait qu’alimenter les spéculations. Les familles des militaires arrêtés, dont deux ont été interpellés à leur domicile à Bamako le dimanche 10 août, déclarent être sans nouvelles de leurs proches.
En marginalisant des figures respectées comme le général Dembélé et la générale Sagara, la junte prend le risque d’accélérer la désagrégation d’un appareil militaire déjà sous pression face aux groupes armés jihadistes et aux défis sécuritaires multiples.