Le Festival Gabao Hip-Hop rythme les nuits de Libreville


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Jules Kamden
Jules Kamden

Le Festival Gabao Hip-Hop se tient à Libreville jusqu’au 3 juin. Des milliers de fans de rap, de dancehall et de cultures urbaines se pressent dans les rues de la capitale gabonaise pour la cinquième édition de cet événement qui, au-delà du plaisir et de la fête, entend promouvoir de nouveaux talents d’Afrique centrale et contribuer à une plus grande professionnalisation des acteurs culturels de la région.

Derrière le Festival Gabao Hip-Hop qui se déroule du 28 mai au 3 juin, à Libreville, Jules Kamdem, 33 ans, et son équipe. Originaire du Cameroun et résidant au Gabon, ce jeune directeur artistique est autodidacte, passionné de musique et de cultures urbaines. Il a accordé une interview à Afrik.com.

Afrik.com : Comment est né le Festival Gabao Hip-Hop ?

Jules Kamdem : L’idée du festival est née de la volonté de créer un événement à la hauteur des talents d’Afrique centrale. Je n’ai pas fait d’études. Je n’ai pas le bac. Je suis parti à la rencontre des professionnels d’Afrique de l’Ouest. Je me reconnais dans l’école de l’Afrique de l’Ouest. J’ai été au Masa (Marché des Arts du Spectacle Africain), en Côte d’Ivoire, il y a sept ans. J’ai fait de nombreux voyages. Et ce que j’ai appris là-bas, je l’ai mis en pratique. De façon ponctuelle, j’organisais des concerts pour Extra Musica, Madilu System, Sony Diko… Je manageais des artistes qui sont des icônes au Gabon. J’aurais pu me reposer sur mes lauriers, mais j’ai toujours eu envie d’aller plus loin. Le déclic, pour moi, ça a été Africa Fête de Mamadou Konté. C’est là que j’ai compris les financements institutionnels, que l’on pouvait être soutenu par des institutions à condition de répondre aux critères d’éligibilité. Et dès la deuxième année du festival, j’ai été soutenu.

Afrik.com : Pourquoi vous êtes-vous spécialisé dans les musiques urbaines ?

Jules Kamdem : C’est la culture à laquelle je m’identifie le plus. C’est celle de ma génération. Elle est basée sur la contestation. Et avec les injustices qu’il y a au Gabon, je me suis dit que ce serait une manière pour moi d’apporter ma petite pierre au changement. Aux quatre coins du continent, le Hip-Hop est extrêmement populaire. Au Gabon, ce sont les concerts de Rap qui ramènent le plus de monde. Même au Congo, où le Ndombolo est roi, Koffi Olomidé et Fally Ipupa font des featuring avec des rappeurs. Les pouvoirs publics étaient un peu réticents au début, mas maintenant ils ont compris qu’ils ne peuvent pas faire sans.

Afrik.com : Ne craignez-vous pas que le développement des musiques urbaines américaines engendrent un déclin des musiques typiquement africaines ?

Jules Kamdem : Non. Elles ne représentent pas un danger. Tout évolue. Tout est métissé aujourd’hui. Il y a de la place pour tout le monde. Et les rappeurs africains ont compris la nécessité de prendre en compte leur propre culture, d’intégrer des rythmes et des mélodies traditionnelles dans leur musique. Ils savent que ça ne sert à rien de rapper à la française ou à l’américaine.

Afrik.com : Quelles pointures et quelles découvertes ont été programmés au festival ?

Jules Kamdem : Au niveau de ma sélection, j’essaie de trouver un équilibre entre les stars et les talents émergents. Nous avons des groupes connus comme les Nubians, Facteur X et Awadi. Mais nous sommes aussi allés faire des sélections dans cinq pays d’Afrique centrale, à N’djamena, à Brazzaville, à Kinshasa, à Yaoundé et à Bangui, pour trouver des artistes peu connus, et ce avec l’appui des Centres culturels français. Notre idée était d’identifier des jeunes qui avaient du talent et de discuter avec les acteurs du secteur culturel. J’ai été très impressionné, par exemple, par des gars comme Beb’tsi et Thierry O dit Big Box, une vraie boîte à rythme humaine.

Afrik.com : L’un de vos objectifs est de contribuer à la professionnalisation des entrepreneurs culturels africains. Pourquoi ?

Jules Kamdem : Les ateliers de formation sont l’un des objectifs structurels du festival. Il y a des stratégies, des plans de carrière à mettre sur pied. Tant que chacun des acteurs culturels n’aura pas compris son rôle, ça ne marchera pas, artistes, producteurs, managers seront en conflit. Donc il y a une nécessité de professionnaliser pour mieux comprendre le rôle de chacun. La formation est la base de tout. Il ne suffit pas d’avoir de l’argent. Je travaille avec des experts bien identifiés qui collaborent avec des organismes internationaux et sont au fait des problématiques musicales sur le continent africain. Des personnes comme Tony Mefe Abossolo, Vincent Mambachaka, Régis Cissoko, des responsables de Centres culturels français. Des artistes comme les Nubians, par exemple, animeront pendant toute la semaine des ateliers avec des jeunes en devenir. L’an dernier, c’était Lokua Kuanza qui avait assuré cette tache.

Afrik.com : Pour vous, le Festival Gabao Hip-Hop doit aussi être l’occasion de mener des actions à caractère social. Qu’entendez-vous par là ?

Jules Kamdem : Nous voulons que l’évènement serve de plate-forme contre les maux qui minent le continent. Mais nous ne sommes pas des spécialistes. Pendant trois ans, nous avons sensibilisé à la lutte contre le sida avec l’OBDAS, mais ce travail n’a pas été satisfaisant. Cette année, nous soutenons le projet d’AURA (Artistes unis pour le rap africain) qui mène le projet Potopoto initié par l’ONG Plan International. L’idée est de sensibiliser les gens aux droits des enfants pour lutter contre les mineurs exploités et, pour ce faire, nous leurs avons aménagé une tribune dans le festival.

Afrik.com : Qui soutient le festival financièrement ?

Jules Kamdem : En Afrique, promouvoir la culture, c’est difficile. Mais nous avons réussi à obtenir le soutien de mécènes au premier rang desquels se trouve la société Celtel. Les Centres culturels français et les fonds publics français participent aussi au budget. Et pour la première fois, notre ministère de tutelle, le ministère de la Culture, est avec nous. C’est une caution morale et la preuve de l’on grandit !

Afrik.com : Qu’espérez-vous de cette 5e édition du Festival Gabao Hip-Hop ?

Jules Kamdem : L’année dernière nous avons vendu environ 7000 tickets, ce qui veut dire qu’il y avait à peu près 10 000 personnes présentes. Comme cette année l’événement est éclaté sur Libreville et sa périphérie, on espère attirer jusqu’à 20 000 personnes. Car c’est là la grande innovation de cette 5e édition : la décentralisation. Nous avons voulu amener le spectacle à tous les publics, avec une bonne sono, une bonne lumière afin d’accroître sa popularité. De plus, nous espérons que les rencontres professionnelles aboutiront à un programme de formation à l’échelle de la région, car cette question nous préoccupe vraiment.

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Journaliste, écrivain, dramaturge scénariste et réalisateur guadeloupéen. Franck SALIN fut plusieurs années le rédacteur en chef d'Afrik.com
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