La pastèque marocaine : succès agricole et catastrophe écologique


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Pastèques
Des tranches de pastèques

Symbole estival par excellence, la pastèque est devenue au fil des années un pilier de l’agriculture marocaine. Derrière sa chair rouge juteuse et ses performances à l’export se cache pourtant une réalité bien plus amère : celle d’un fruit au cœur d’une tempête environnementale, économique et diplomatique. Alors que le Maroc était l’invité d’honneur du Salon de l’Agriculture de Paris cette année, la « géographie de la soif » dessinée par la pastèque dans le sud du pays suscite un malaise croissant.

Entre 2020 et 2021, la culture de la pastèque au Maroc a connu un essor spectaculaire. Les superficies cultivées sont passées de 16 812 à 19 206 hectares, portées par des investissements massifs et l’adoption de techniques modernes comme l’irrigation au goutte-à-goutte. Les rendements ont atteint un impressionnant pic de 42 908 kg/ha en 2021.

Mais dès 2022, le vent tourne. Frappées par une sécheresse persistante, un stress hydrique croissant et des restrictions gouvernementales de plus en plus sévères, les surfaces cultivées se sont réduites à 14 582 ha en 2023 et pourraient chuter à seulement 13 200 ha d’ici 2025. Les rendements suivent la même trajectoire descendante, avec une prévision alarmante de 29 500 kg/ha pour 2025.

Ainsi, en à peine quatre ans, la production nationale s’est effondrée, passant de plus de 824 000 tonnes à moins de 390 000 tonnes. Parallèlement, les exportations ont reculé de 152 000 tonnes en 2021 à 113 500 tonnes en 2023, entraînant une hémorragie financière avec des recettes d’exportation en chute de 135 à 96 millions de dollars.

Le lourd tribut des oasis

Ce qui rend la situation de cette culture particulièrement préoccupante, c’est l’empreinte hydrique démesurée de la pastèque. Cette culture exige entre 5 000 et 7 000 m³ d’eau par hectare, un véritable luxe dans des régions déjà assoiffées comme Zagora, Tata ou la vallée du Drâa, où cette exploitation intensive accélère la désertification et épuise inexorablement les nappes phréatiques.

« Notre géographie oasienne brûle à cause de la pastèque », alerte Rachid El Belghiti, journaliste et militant écologiste qui documente depuis des années cette catastrophe silencieuse. À Tata, la situation est devenue si critique que certains villages sont confrontés à l’exode rural, leurs habitants fuyant littéralement la soif.

Malgré les restrictions imposées par les autorités locales, le mal est profond : l’eau détournée pour cette agriculture intensive prive les populations locales et les cultures vivrières traditionnelles de leur ressource vitale. La situation est parfois aggravée par des forages clandestins qui pompent sans contrôle les dernières réserves souterraines.

Entre tensions diplomatiques et concurrence mondiale

Sur l’échiquier international, le Maroc peine à rivaliser avec des géants comme la Turquie, qui affiche des rendements impressionnants de 50 000 kg/ha, ou l’Espagne, dont les pratiques agricoles combinent mieux durabilité et productivité. Mais c’est surtout sur le terrain diplomatique que la pastèque marocaine cristallise les tensions.

En France et en Espagne, les syndicats agricoles dénoncent avec véhémence ce qu’ils considèrent comme une concurrence déloyale : coûts de production dérisoires, conditions sociales opaques et usage controversé de pesticides. La controverse a atteint son paroxysme lorsque des lots exportés vers l’Union européenne ont été suspectés de contenir du méthomyl, un insecticide classé « à risque sérieux » et interdit sur le sol européen.

Face à ces accusations, Rabat se défend en mettant en avant la rigueur de ses contrôles phytosanitaires et dénonce une campagne de désinformation orchestrée pour nuire à ses intérêts commerciaux. Dans un contexte déjà tendu par la colère agricole qui secoue l’Europe, la présence du Maroc comme invité d’honneur au Salon de l’Agriculture de Paris a été perçue comme une provocation par de nombreux agricuteurs de l’hexagone. En réponse, les autorités marocaines envisagent des poursuites juridiques contre des agriculteurs français accusés d’avoir saboté des cargaisons.

Un modèle agricole à bout de souffle

La crise de la pastèque révèle les failles profondes d’un modèle agricole dangereusement dépendant de ressources naturelles limitées. L’ONG ATTAC Maroc pointe du doigt la marginalisation progressive des petits agriculteurs traditionnels, remplacés par une armée d’ouvriers saisonniers travaillant pour de grandes exploitations souvent détenues par des investisseurs peu soucieux des équilibres locaux.

Le paradoxe est saisissant : alors que le Maroc brille sur la scène internationale avec ses fruits gorgés de soleil, ce sont ses propres écosystèmes et communautés rurales qui en paient le prix fort.

Vers une agriculture plus durable ?

Face à cette impasse, plusieurs pistes de solutions commencent à émerger. L’innovation technologique, notamment via l’irrigation de précision et les capteurs connectés, pourrait permettre de réduire considérablement la consommation d’eau. La recherche variétale s’active pour créer des pastèques plus résilientes face aux chaleurs extrêmes et moins gourmandes en eau.

Enfin, certaines régions envisagent déjà une reconversion partielle vers des cultures plus sobres et mieux adaptées au climat local, comme les oliviers ou les agrumes. La diversification des marchés, au-delà de la dépendance à l’Europe, figure également parmi les priorités stratégiques du secteur.

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Ali Attar est un spécialiste reconnu de l'actualité du Maghreb. Ses analyses politiques, sa connaissance des réseaux, en font une référence de l'actualité de la région.
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