La nébuleuse intégriste marocaine au grand jour


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Drapeau du Maroc
Drapeau du Maroc

Les attentats de Casablanca de vendredi dernier ont laissé le Royaume chérifien en état de choc. Pourtant, de l’avis de certains analystes, la menace intégriste montait depuis quelques années au Maroc. Le point avec le rédacteur en chef de Libération, premier quotidien marocain à avoir mis en garde l’opinion publique.

Cinq attentats suicides, perpétrés vendredi soir dans le centre-ville de Casablanca, ont fait 41 morts et une centaine de blessés. Même si le ministre marocain de la Communication et porte-parole du gouvernement, Nabil Benabdellah, a déclaré dimanche que le groupe à l’origine de ces attentats semble « rattaché à un réseau international », le quotidien marocain Libération note quant à lui que « l’enquête et les arrestations en cours concernent les groupes qui ont été très actifs pendant les mois précédents ».

Ainsi, les kamikazes ont un rapport avec un groupe marocain appelé Assirat Al Moustaqim (Le Droit chemin), qui s’est fait connaître en janvier dernier dans une affaire d’assassinat par lapidation d’un homme accusé de « dépravation ». Plus de trente arrestations ont été déjà opérées dans les milieux intégristes marocains dans le cadre de l’enquête ouverte après les attentats. Salah Sbyea, journaliste à Libération depuis 12 ans, et rédacteur en chef depuis deux ans, revient sur ce qu’il appelle la « nébuleuse intégriste » marocaine.

Afrik : Libération a été le premier journal marocain à parler de possibles menaces terroristes dans le Royaume…

Salah Sbyea : Nous n’avons pas parlé de « terreur » sur le sol marocain. Mais depuis 6 ou 7 ans, le discours ambiant sur la prétendue spécificité marocaine, sur le fait que le Maroc ne peut pas être une cible du terrorisme, est irrecevable. Et les attentats de vendredi l’ont prouvé.

Afrik : Quand avez-vous vraiment tiré la sonnette d’alarme ?

Salah Sbyea : Depuis environ quatre ans, nous observons une multiplication d’un certain nombre de phénomènes qui existaient avant de manière mois importante et plus diffuse. Certains discours intégristes sont martelés à travers des publications et des prêches. Des idéologues rétrogrades et fascistes s’expriment publiquement, n’hésitant pas à traiter les militants des droits de l’Homme de « mécréants » ou ce genre de choses… A Libération, nous avons toujours affirmé que ces propos ne devaient pas être considérés comme des opinions mais comme des délits qui devaient être punis comme tels.

Afrik : Le 11 septembre a également dû exacerber ces positions….

Salah Sbyea : Depuis le 11 septembre, il y a eu une accélération des phénomènes dont je parle. Il y eu l’apparition de groupes, de personnes qui attaquaient lors de prêches violents les Marocains qui éprouvaient de la compassion pour les victimes américaines et montraient leur soutien aux familles et à l’Amérique. Ces deux dernières années, nous avons vu la prolifération d’actes émanant de groupes qui sont reconnus comme des associations terroristes. Des assassinats, du racket, des « opérations de police » : des membres de ces groupes font des contrôles d’identité en pleine rue, enlèvent des gens, les jugent et les assassinent. D’ailleurs, ces dernières semaines, des responsables ont été jugés pour cela.

Afrik : Il y avait donc des signes…

Salah Sbyea : Il y a eu cette tentative de vol de kalachnikovs dans une caserne de Casablanca, il y a un mois. Et il y a quelques semaines, les membres de la cellule dormante d’Al Qaïda au Maroc, qui projetait des attentats sur le sol marocain et contre les navires américains stationnés dans le détroit de Gibraltar, ont été jugés et condamnés… Des groupes intégristes ont également commis des assassinats dans diverses régions du Maroc l’été dernier.

Afrik : Ces groupes ont-ils des noms ?

Salah Sbyea : Salafiya Jihadia, Assirat Al Moustaqim ou Al Higra wa takfir… Il y a une multitude de noms. Ceux-ci importent peu si ce n’est pour repérer les différents groupes. Le plus important est de parler de l’ensemble de la nébuleuse intégriste qui existe au Maroc et qui malheureusement possède des représentants au Parlement. Il a été démontré que certains leaders de ces groupes intégristes étaient liés à des partis islamistes comme le PJD (Parti Justice et développement qui a fait une nette percée aux législatives de 2002, ndlr).

Afrik : Le PJD a pourtant immédiatement dénoncé les attentats de Casablanca…

Salah Sbyea : C’est indécent que les représentants du PJD s’expriment sur le sujet, alors qu’ils se gaussaient il y a peu de temps de prétendues actions de terreur organisées par les intégristes. Tous les actes sanglants qui se produisent depuis ces dernières années n’ont jamais été condamnés par le PJD. Le parti les nie, les minimise ou explique que c’est un coup monté de l’Etat. Leur dernière déclaration relève de la provocation.

Afrik : Pensez-vous que le gouvernement marocain a sous-estimé la menace terroriste ?

Salah Sbyea : Le terrorisme est par nature imprévisible et même s’il y a peut-être eu un problème au niveau de la sécurité, je ne veux pas débattre sur ce qui aurait dû être fait. On ne peut reprocher qu’une seule chose au gouvernement marocain, c’est de ne pas avoir lutté à temps contre cette pieuvre qui a commencé à agresser la société marocaine. Le pouvoir a aujourd’hui le devoir de doter le Royaume d’une législation valable pour protéger le pays. Il y a des choses à corriger dans la loi anti-terroriste proposée aujourd’hui mais la seule réponse évidente aux attentats de vendredi, c’est d’adopter une législation adéquate.

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